GOV’T MULE : « DOSE ». 1998

Au départ, Gov’t Mule ne devait exister que durant les périodes où The Allman Brothers Band était en repos. Un projet parallèle pour Warren Haynes, Allan Woody et Matt Abts, un power trio, un jam band, pour se faire plaisir, jouer, et donner du plaisir aux autres. Assurer dans deux formations différentes, enregistrer, donner des concerts est extrêmement difficile, voir impossible. Ou alors, il ne faut plus dormir, et être debout vingt quatre heures sur vingt quatre, et avoir le don d’ubiquité. Ce qui devait arriver arriva, les musiciens se trouvèrent devant un dilemme, un choix s’imposait. Gov’t Mule prenait une telle importance, touchait un si grand public, que Warren et Allan devaient s’y consacrer à plein temps, et décidèrent le 26 mars 1997 de quitter Allman Brothers.

Pour Warren et ses deux compagnons, la tache est ardue, après un premier album exceptionnel, il est toujours délicat de remettre le couvert. Le groupe est attendu au tournant. Quasiment trois ans sont passés, et le Mule doit donner une suite à sa première et formidable aventure discographique. Le groupe vient de changer de maisons de disques, et vient de signer chez Capricorn, spécialiste dans le Southern Rock. Ce qui saute immédiatement aux oreilles, c’est le côté sombre de l’album. Comme pour le précédent album, la qualité d’écriture des morceaux est bien au rendez-vous, les émotions toujours présentes, et la technique de nos trois zozos toujours aussi exceptionnelle. Comme je vous le disais il y a quelques années, en vous parlant de cet album, tout y est à la puissance dix, compositions parfaites, dans des styles nuancés, que des classiques du groupe, et le jeu des musiciens a quelque chose de magique. L’album est plus noir que le premier, moins facile peut-être, mais d’une ferveur exaltée, aux improvisations débridées.

« Blind Man In The Dark » un Blues Rock bien heavy ouvre le disque, avec un Matt Abts version Rock, tout en puissance, finesse et souplesse, un Allan Woody carré aux notes bondissantes, et un Warren Haynes

égal à lui même, c’est à dire exceptionnel. Premier titre premier classique, et l’album en regorge. Ce morceau est très impressionnant, de par sa complexité, et grâce aux talent des trois musicos. Le groupe semble avoir durcit le ton, et la voix de Warren y gagne en intensité. « Thorazine Shuffle » et sa ligne de basse magique, obsédante, hypnotique,

sa batterie tout en nuance avec swingue et force, aux cymbales omniprésentes, et une guitare qui semble être partout à la fois. Deuxième titre, deuxième classique du Mule. « Thelonius Beck » pour Monk et Jeff, entre Rock et Blues, est un morceau bien carré, dans lequel les trois Mule peuvent se laisser aller, dans des improvisations débridées et

jouissives. Et ça s’envole encore très haut, le morceau superbement construit, renferme pas mal de petits tiroirs surprises, variations de tempo, breaks.

Court, un peu plus de trois minutes, mais bien rempli. « Game Face » est le morceau le plus long de l’album, presque huit minutes, heavy à souhait, l’intro batterie basse est plombée, et appelle la guitare à venir les rejoindre,

c’est ensuite une démonstration de savoir faire, les climats s’entre choc à merveille. La maitrise est impressionnante, chaque musicien connaît sa partition, le reggae fait suite au Rock, la basse se promène et dialogue avec la guitare, questions-réponses, sous l’œil de la batterie qui met tout le monde d’accord. Quel morceau de dingue. Troisième classique. « Towering Fool » est le titre le plus doux du disque, quasiment une ballade,

tout en retenue et finesse. Ces mecs peuvent tout jouer, et nous le démontrent une fois de plus. Ce morceau est simplement magnifique, dépouillé, sobre, triste, en un mot beau. « Birth Of The Mule » second instrumental du disque. Au tout début, on pense à un titre jazz avant que le

groupe n’entre vraiment dans la danse, et là, boum, pas jazz du tout, mais un Rock lourd, épais, qui revient vers le jazz, avec une ligne de basse sensationnelle, et des chorus inspirés de Warren entre Rock, Blues et Jazz.

Matt passe du ternaire au binaire, et cette surprise dans l’écriture du morceau, lui donne son côté original, et déroutant. Quatrième classique. « John The Revelator » du Bluesman Son House, est difficile à classer.

Mule en donne une interprétation très originale, le banjo fait une belle apparition, mêlé à la slide, on voyage dans le Deep South. « John The Revelator » est une belle surprise. « She Said, She Said » petit hommage aux Beatles, gagne en lourdeur par rapport à la version originale,

et c’est tant mieux, la vision qu’en donne Gov’t Mule est plus personnelle, plus dans l’esprit de la musique du groupe, et le titre s’y prête à merveille, on redécouvre le morceau. « Largeur Than Life » est introduit par la batterie, de nouveau le climat est heavy, l’intensité est palpable, et quelques

fulgurances de guitares traversent la ligne mélodique. Encore un morceau superbement construit, et joué de fort belle manière. Ni Cream, ni l’Experience n’auraient fait mieux.

« Raven Black Night » est un très beau moment acoustique, qui n’aurait pas dépareillé dans Led Zeppelin III. Ambiance médiévale, gothique,

mystique, façon conte de fées, la coupure avec le reste du disque est très agréable. La voix de Warren est vraiment superbe et se marie parfaitement à la mandoline. On a l’impression de traverser une forêt magique, hanté, où chaque ombre semble être une menace, un monstre caché, prêt à nous sauter dessus. C’est beau, c’est original, bravo. « I Shall Return » dernier morceau de l’album, est un tempo moyen, une ballade un peu rapide, curieusement c’est le titre le plus « lumineux » du disque

, il n’a pas le côté sombre des autres chansons, il est plus optimiste, comme une ascension spirituelle, une montée vers un ailleurs meilleur, où le soleil chauffe un peu plus, où la vie est plus belle. Gov’t Mule a fait encore très fort avec cet album, décidemment non, ce n’est pas juste un groupe de Southern Rock de plus. Gov’t Mule, c’est beaucoup plus que celà. Il s’ouvre à de nouveaux horizons. Il marie avec bonheur le Rock, le Jazz, le Blues,

le Reggae, avec une cohésion sidérante. Aucune barrière dans sa musique, et comme les grands anciens dont il se réclame, Cream, Hendrix Experience, il se réinvente à chaque nouvel album. Sa notoriété est de plus en plus reconnue, il fait la couverture de « Guitar Player« . Critiques et public plébiscitent l’album, les concerts affichent complet. « Dose » est une totale réussite, on peut même parler de Chef d’œuvre. Le mélange des styles abordés, couvrent une palette impressionnante. Avec cet album, Gov’t Mule entre dans la cour des grands, de ceux qui comptent, qui écrivent, et font l’histoire. Leur album est un voyage initiatique, qui vous touche, vous émeut à chaque écoute, vous prend par la main, et vous conduit vers des contrées lointaines dont on a entendu parler, mais que l’on a jamais foulé, et qui portant nous appellent et nous émerveillent.

1999 verra la sortie de ce Chef d’œuvre en public, « Live… With a Little Help from Our Friends » dont je vous ai déjà parlé en septembre 2014, et qui est à ranger aux côté des « Fillmore East » de l’Allman BrothersBand Of Gypsys de HendrixLive Bullets de Bob SegerLive At Leeds des WhoHhaï Live 1976 de MagmaLive in New York City Bruce Springsteen & The E Street Band . Et de tous les autres que j’ai oublié… Mais ça c’est déjà une autre histoire…

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One thought on “GOV’T MULE : « DOSE ». 1998

  1. Eric dit :

    Très belle critique, à la hauteur du sujet !

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