SERGE GAINSBOURG : « HISTOIRE DE MELODY NELSON ». 1971

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Vous allez trouver que je me répète, mais encore une fois, un disque de 1971. L’année de mes seize ans… Des explosions musicales dans ma tête, des découvertes, des alchimies, par contre rien d’illicites, tout vient de, et, par la musique, ma seule addiction. J’entendais tout le temps, tu verras ça te passera, et cela ne s’est jamais passé, non jamais.

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Je connaissais GAINSBOURG, j’aimais ses chansons, son écriture, ses mélodies, et j’adorais les arrangements de ses titres. Et puis j’aimais bien son côté provoc, le côté GAINSGARRE qui viendrait des années plus tard. J’ai tout de suite aimé le côté sensuel et moite de MELODY, son style petite garce face au méchant vieux monsieur lubrique riche roulant dans sa Rolls. La musique sonne comme celle d’un groupe, d’un vrai, pas des baltringues qui accompagne un chanteur. Ca sonne tout de suite très British, rien à voir avec la musique française environnante.

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Lucien Ginsgurg, dit SERGE GAINSBOURG est né à Paris en avril 1928, et possède de nombreuses étiquettes, auteur-compositeur-interprète, pianiste, artiste peintre, scénariste, metteur en scène, écrivain, acteur et cinéaste. Fils d’immigrants russes et juifs, ils quittent la Russie pour la France en 1919, la famille obtient la Nationalité Française en juin 1932. Lucien est poussé par son père à apprendre le piano et la peinture. Le gouvernement de Vichy oblige les juifs au port de l’étoile jaune, Lucien porte la sienne, il dira plus tard « …Mon père était shérif pendant la guerre, il portait une étoile… »

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Il souffre du reflet que lui renvoie son miroir, il se trouve laid. Au fil des ans, il se construit une image de « poète » maudit, de provocateur, de polémiste. Malgré son image, mais grâce à ses chansons, il tiendra des femmes merveilleuses de beauté dans ses bras. Même si pour lui, la chanson est un art mineur. Les métiers artistiques étant interdit aux juifs, plus personne n’engage son père qui doit passer en zone libre en 1942 pour trouver du travail, et fuir la misère. Les contrôles de police étant de plus en plus nombreux, la famille part rejoindre le père en janvier 1944 dans la région de Limoges, avec de faux papiers.

Serge Gainsbourg caricature by ©Jeff Stahl Watermark

Les Ginsburg se réfugient dans un petit village de la Haute-Vienne, Petit Vedeix sous le nom de Guimbard. Les filles sont cachées dans une institution religieuse, et Lucien dans un collège jésuite à Saint-Léonard-de-Noblat, sous une fausse identité. Une nuit où la gestapo fait une descente pour voir si des juifs n’y sont pas cachés, le responsable du pensionnat envoie Lucien se cacher dans la forêt. Il y reste caché la nuit entière, la peur au ventre. La famille entière se voit retirer la nationalité française par une commission spéciale mise en place par le régime de Vichy, étant« israélites sans intérêt national ».

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La guerre terminée, les Gainsbourg s’installent à Paris.  Lucien s’inscrit aux Beaux-Arts, il y rencontre sa future femme Elisabeth Levitsky. En 1948, il fait son service militaire, et apprend à jouer de la guitare. Jusqu’à l’âge de trente ans, SERGE vit de petits métiers, mais rien de bien sérieux. En 1952, il emménage avec sa femme dans un établissement privé d’enseignement supérieur de musique, d’art dramatique et de danse, situé à Paris. Découvrant au fond d’un placard une porte dérobée donnant sur une salle de concert, où des groupes américains viennent enregistrer leurs disques. Entre le piano de leur chambre et cette porte magique, SERGE, délaisse tout pour la musique..

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En 1954, SERGE devient chanteur piano-bar dans des casinos de la Côte, Le Touquet, Deauville, et des cabarets parisiens comme Madame Arthur. En voyant Boris Vian, au cabaret  « Milord L’Arsouille » il a un déclic, une illumination. Il devient bientôt pianiste d’ambiance du cabaret et accompagne au piano ou à la guitare la chanteuse Michèle Arnaud. En 1957 Michèle et Francis Claude, directeur artistique du cabaret tombent par hasard sur des compositions de SERGE. Le lendemain, il est littéralement poussé sur la scène, et mort de trac, interprète son propre répertoire dont « Le Poinçonneur des Lilas« .

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En 1958, il passe sur les ondes de France Inter dans une émission de Francis Claude. SERGE commence à déposer des titres à la SACEM. Michèle Arnaud dès 1958 enregistre des chansons de SERGE. C’est là qu’il décide d’abandonner la peinture pour la composition musicale, et détruit presque toutes ses toiles… SERGE divorce, et se lance dans la séduction des femmes. Son premier album « Du Chant à la Une » contient le « Poinçonneur des Lilas » son premier succès en 1958. Boris Vian avant de mourir en 1959 le compare à Cole Porter…Avoir 32 ans à l’époque des yéyés, n’est pas chose facile, comme de passer en première partie de Brel ou de Juliette Gréco.

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Le public n’aime pas vraiment, et les critiques ne voient en lui que grand nez et grandes oreilles. En 1962 Gréco chantera « La Javanaise ». Puis des albums teintés de Jazz  » Gainsbourg Confidentiel », de rythme afro « Gainbourg Percusions » . SERGE prend une décision… « Je vais me lancer dans l’alimentaire et m’acheter une Rolls ». Il est loin de se douter que ce sont les yéyés qui feront sa fortune. Déjà Gréco avec « La Javanaise » connait un joli succès puis c’est « Accordéon« . Pour Petula Clark « La Gadoue« , Françoise Hardy « Comment Te Dire Adieu » et France Gall dont le public est plus jeune qui remporte le Concours Eurovision de la Chanson en 1965 avec « Poupée de cire, Poupées de Son« , en 1966 il récidive avec « Les Sucettes à l’Anis« . Il entrera dans la vague yéyé avec le morceau « Qui Est In, Qui Est Out« .

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En 1967, il compose une chanson « Le Sable et le Soldat » pour remonter le moral de l’armée de l’état d’ Israël, Tsahal, qui connait une nouvelle guerre, la guerre des six Jours. Vers la fin de cette année, il vit une passion avec Brigitte Bardot, il lui dédie « Initials BB« , et lui compose « Harley Davidson »  « Bonnie & Clyde » « Je t’aime…Moi Non Plus ». Morceau gardé secret à la demande de Brigitte, que SERGE rendra célèbre l’année suivante, chanté en duo avec Jane Birkin.

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La version initiale avec Brigitte sort en 1986 et connait également le succès. C’est en 1968 sur le tournage du film Slogan qu’il rencontre Jane Birkin, pour qui il écrit, qui devient sa muse et qui quitte son mari John Barry compositeur de musique de film, pour lui SERGE GAINSBOURG.

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« 69 Année Erotique » et « Je T’Aime…Moi Non plus » sont d’immenses succès, bien au delà des frontières Européennes. Les années 70′ sont marquées par la sortie d’albums d’importances, véritable références. 1971 : « HISTOIRE DE MELODY NELSON« , 1973 « Vu de l’Extérieur » et son tube « Je suis Venu Te Dire Que Je M’en Vais » , 1975 « Rock Around The Bunker », et en 1976 « L’Homme à la Tête De Chou » .

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A leurs sorties ces albums ne sont pas d’énormes ventes, moins de vingt mille exemplaires chacun, mais sont depuis entrés dans le Patrimoine de la Chanson Française. « HISTOIRE DE MELODY NELSON » est accueilli par la presse comme « le premier vrai poème symphonique de l’âge pop »  Cet album-concept, produit et arrangé par Jean Claude Vannier, raconte l’histoire d’une lolita dont GAINSBOURG narre les exploits. L’album est influencé par la scène rock anglaise et ses arrangements de guitare. L’histoire fait écho au roman de Vladimir Nabokov  « Lolita« 

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dont GAINSBOURG est un admirateur passionnel. GAINSBOURG est toujours GAINSBOURG , avec ses excès, mais GAINSBARRE n’est pas encore apparu. On peut considérer MELODY NELSON comme un petit Opéra Rock , ou du moins comme un concept album. Mais je dois avouer quand le réécoutant pour écrire l’article, j’ai trouvé qu’il avait énormément vieillit, le son est daté par son époque, et j’en ai été un peu déçu et perturbé.  Autant certains morceaux sont splendides, autant dans sa globalité, des vieilleries seventies gâchent quelque peu l’écoute. Les arrangements des cordes sont splendides, la voix off de GAINSBOURG parfaite en raconteur d’histoire, mais certaines musiques, orchestrations et manières de jouer ont pris un sale coup de vieux, et situent bien le disque dans son époque. Bon disque oui, novateur oui, encore écoutable oui mais…. sous certaines conditions.

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BALLADE DE MELODY NELSON

Il y a des imperfections qui gênent, des côtés répétitifs dans certains titres quand ils sont un peu trop long. Les souvenirs que j’avais de MELODY NELSON étaient plus beaux que le ressenti après les dernières écoutes. Comme quoi avant de parler d’un album dont on a un souvenir exceptionnel, il vaut mieux l’écouter plusieurs fois. Surtout si c’est un disque français, certains crus vieillissent mieux que d’autre. « Melody« , le morceau qui ouvre l’album, et en pose les fondamentaux, donne un avant goût d’architecture baroque et classieuse. Tout y est posés dans les moindres détails. Les arrangements de Jean Claude Vannier sont magnifiques. Le second morceau renforce encore le sentiment d’écrin contenant un chef d’œuvre, chantés par SERGE et JANE, , la répétitions des cordes laisse présager le pire.

VALSE DE MELODY

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« La Valse de Melody » entre cordes et chant magnifie en deux minutes la qualité du morceaux. « Ah! Melody » baigne le morceau d’une sombre mélancolie. « Hotel Particulier » tout en faste d’un bordel de luxe., dont le rythme nous rappelle le premier titre de l’album, avec un clin d’œil au Michel Polnareff du « Bal des Laze« .

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« En Melody » instrumental très seventies dans le rythme et le jeu des musiciens est quasiment instrumental si ce n’est les petits cris poussés par JANE qui me font penser à ces vers dit plus tôt par SERGE : « Adorable petite conne« , et  SERGE annonce de la mort de Melody.  « Cargo Culte » est un délire verbal, entre tristesse, folie et exotisme…

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L’HOTEL PARTICULIER

« Je sais moi les sorciers qui invoquent les jets dans la jungle de Nouvelle-Guinée. Ils scrutent le zénith, convoitant les guinées que leur rapporterait le pillage du fret. Ces naufrageurs naïfs armés de sarbacanes qui sacrifient ainsi au culte du cargo en soufflant vers l’azur et les aéroplanes. » Le narrateur cherche sa bien-aimée « Où es-tu Melody ? Et ton corps disloqué hante-t-il l’archipel que peuplent les sirènes ? »… De magnifiques chœurs ponctuent la deuxième partie du morceau, tel des voix d’anges tombés du ciel. Le soin porté aux arrangements est phénoménal, rock et classique se mélangent, s’enlacent, se déchirent au rythme de cette amour impossible…

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EN MELODY

Le groupe qui accompagne GAINSBOURG n’est pas mentionné sur la pochette, mais on apprendra plus tard que ce sont Doug Wright à la batterie, Vic Flick & Big Jim Sullivan guitares, Herbie Flowers basse, le même bassiste à qui l’on doit la ligne de basse de Walk On The Wild Side de Lou Reed. C’est le photographe de « Salut Les Copains » Tony Frank qui signe la photo de la pochette d’une JANE BIRKIN enceinte. Le faux conte de fées débute par la voix de SERGE, au volant de sa Rolls Royce Silver Ghost de 1910, et les derniers mots du disque sont un retour au début de leur rencontre. « Tu t’appelles comment ? » « Melody. » « Melody comment ? » « Melody Nelson. »

CARGO CULTE

Jane Birkin and Serge Gainsbourg

Alors « MELODY NELSON » bel album oui, grand album oui, Chef d’Œuvre peut-être… A vous de décider…

 

 

 

 

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