COLOSSEUM : »DAUGHTER OF TIME » 1970

1968, le 4 avril, Martin Luther King est assassiné à Memphis, le 5 juin, c’est Robert Kennedy qui est tué. En Angleterre, une nouvelle formation voit le jour, elle se compose d’anciens musiciens des Bluesbreakers de John Mayall, du Graham Bond Organisation et du New Jazz Orchestra de Georgie Fame. Ces musiciens possèdent la technique, la virtuosité et surtout l’envie de créer une musique différente. Un condensé de Rock, de Blues, de musique de chambre et de Jazz. En quelque sorte, une musique sans barrière de style, dans laquelle chacun peut s’exprimer à sa guise, une musique plus libre, plus improvisée, une sorte de fusion de différentes expressions musicales, au service d’une nouvelle entité. Son envie, mêler la subtilité du Jazz, à la puissance brutale du Rock. De nombreux critiques, considèrent le groupe comme le précurseur, et l’influenceur majeur du Rock Progressif des années 70. Ce nouveau groupe prend le nom de Colosseum,

à sa tête, un extraordinaire batteur, Jon Hiseman, c’est lui qui remplaça Ginger Baker au sein du Graham Bond Organisation, aux saxophones Dick Heckstall Smith, à la basse Tony Reeves, à la guitare James Litherland, Dave Greenslade aux claviers. Hiseman est le leader, la tête pensante du groupe, il décroche les contrats, trouve les lieux de concerts et s’occupe de renvoyer ou d’embaucher de nouveaux membres pour le groupe. Très rapidement, Colosseum se forge une  réputation de live band, et attire de plus en plus de fidèles à ses concerts. Après la signature d’un contrat avec la maison de disque Vertigo, le groupe sort en 1969 son premier album, l’excellent « Those Who Are About To Die Salute You ». Les ventes du disque sont très bonnes, aidées par le célèbre animateur radio John Peel, grand fan du groupe, qui passe et repasse régulièrement les chansons de Colosseum, et les invite dans son émission Top Gear, sur les ondes radios de la BBC.

Quelques mois plus tard, toujours en 1969, le second album est disponible, il s’intitule « Valentyne Suite ». Très différent du précédent, la seconde face ne contient qu’un morceau de plus de seize minutes « The Valentyne Suite » devenu un classique instantané, qui à lui seul, vaut l’achat du disque. Vous trouverez sur le site, les chroniques de ces deux albums. 1970, Jon Hiseman effectue quelques changements au sein du groupe. Le bassiste Tony Reeves est remplacé par Mark Clarke, que l’on entendra quelques années plus tard avec Uriah Heep, Tempest, Ken Hensley, Ian Hunter, et Mountain, qui ne joue sur l’album que dans trois morceaux, James Litherland cède sa place au remarquable guitariste Clem Clempson, et part fonder Mogul Thrash, enfin un vrai chanteur fait son apparition, Chris Farlowe, un des deux chanteurs blancs préférés d’Otis Redding, le second étant Eric Burdon. En été 1970, Colosseum nouvelle mouture enregistre son prochain album « Daughter Of Time » au Lansdowne Studio de Londres. Le disque est bien accueilli par le public, et grimpe jusqu’à la vingt troisième place dans les charts anglais, durant cinq semaines.

Le fil conducteur de « Daughter Of Time », serait la fascination de l’Homme pour la guerre, à travers les âges. J’ai découvert ce disque à seize ans, sur les conseils de mon prof d’anglais de seconde, au lycée Jacques Decour à Paris, et je dois dire que j’ai usé le vinyle.  Le solo de Jon Hiseman sur le dernier morceau, m’explosait la tête. Il reste à ce jour un de mes chorus de batterie préférés, plus impressionnant encore que celui de Ginger Baker dans Toad, sur le Wheels Of Fire de Cream, plus ramassé, plus puissant, un vrai feu d’artifices. Mais ce titre est anecdotique, et ne représente en rien l’image de cet album, où l’on retrouve du Jazz, du Rock, du Blues, et de la musique de chambre, tout un ensemble d’ambiances riches et variés, qui confèrent à « Daughter Of Time » une image progressive bien à part de celle véhiculée traditionnellement par ce genre de musique, souvent très froide, factice, exhibitionniste, outrancière et pompeuse. Un étrange sentiment semble planer sur tout l’album, une aura de mélancolie, tel un spleen, assombrissant les éclatantes lumières musicales.

Les musiques proposées, sont belles, riches, et construisent un ensemble harmonieux qui captent l’auditeur dès les premières écoutes. Dernières informations, avant de passer à l’écoute du disque, comme je vous l’ai dit plus haut, Mark Clarke ne joue que sur trois morceaux, pour les autres, c’est Louis Cennamo, bassiste de Renaissance. Dernière petite chose, sur certains morceaux on peut entendre un orchestre de chambre, il s’agit de Derek Wadsworth trombone, Harold Beckett trompette et flûte, Jack Rothstein 1er violon, Trevor Williams 2nd violon, Nicolas Kraemer violon, Charles Tunnell 1st violoncelle, Fred Alexander 2nd violoncelle. On entre tout de suite dans le vif du sujet avec le morceau d’ouverture « Three Score And Ten, Amen » , des voix graves lancent le titre, suivi d’une basse bondissante, et d’une batterie qui descend les toms avec un son infernal. Ce thème se répète trois fois, avec des roulements différents, avant que le groupe n’entre à son tour.

Le son est énorme, la basse impressionne, la batterie est monstrueuse, la voix forte et éraillée de Chris Farlowe est en parfaite adéquation avec les autres instruments. Le morceau tourne à pleine vitesse avec agilité et aisance.

Çà semble tellement simple et facile. Les cuivres font leur apparition, le groupe est au complet. La guitare prend son chorus, agrémenté d’une superbe pédale wah-wah. La batterie est en recherche de rythme constant, Hiseman assure un accompagnement fantastique. Le morceau se calme, une voix apparait, Dick Heckstall Smith déclame quelques vers, une respiration dans ce titre échevelé, avant la reprise, et les vociférations de Farlowe. Ce premier morceau est sacrément impressionnant, puissance, parfaite maîtrise de chaque musicien, technicité sans faille. Très bon préambule. « Time Lament » s’annonce en fanfare, les cuivres résonnent, le saxophone donne la couleur, alors que les violons font leur apparition, changeant radicalement l’esprit de ce début de chanson, passant d’un seul coup, à une musique de chambre intimiste.

Tout change de nouveau avec l’arrivé du groupe et le l’énoncé du thème du morceau. La voix de Farlowe nous démontre une nouvelle fois combien son choix comme chanteur est judicieux et nécessaire. Le titre sonne comme un Blues que l’on tordrait pour lui faire changer de forme et de couleurs.

Tout s’accélère soudainement, les ambiances changent, le saxophone se fait lamentations, on se surprend à applaudir les arrangements. Encore une belle réussite. « Take Me Back To Doomsday » commence telle une musique de film, le piano égraine ses notes, les cymbales ruissellent de gouttes de pluie,

et Clempson pose sa voix sur la musique, alors qu’une flûte jouée par Barbara Thompson, la femme de Jon Hiseman, prend son envol sur ce titre vraiment original. Et de nouveau, une mention particulière pour le jeu de batterie. « Daughter Of Time », encore une introduction surprenante, à des lieux du morceau en lui même. Une belle assurance vocale de Chris Farlowe, d’une remarquable justesse. Magnifique guitare, superbe accompagnement de batterie, pour ce titre court mais très original, aux arrangements fouillés et précis.

Colosseum est vraiment un groupe qui se démarque radicalement de ses collègues, des successions d’ambiances toutes différentes, des arrangements très originaux, et des constructions de chansons qui n’appartiennent qu’à lui. « Theme For An Imaginary Western » est un morceau signé Jack Bruce & Pete Brown, déjà au répertoire de Mountain.

La construction est classique, Blues mid-tempo, guitare et basse y tricotent de belles grappes sonores tandis que Farlowe chante. En somme, un Rock Blues traditionnel, sans état d’âme, qui continue de poser une douce mélancolie sur ce début d’album.

« Bring Out Your Dead » encore un morceau qui se prend pour une musique de film ou de série, ce qui n’empêche pas Clempson de poser sa

guitare wah-wah, et Greenslade son vibraphone, afin de poivrer et d’épicer les phrases musicales. Beau chorus d’orgue, belles ambiances, et belle écriture pour ce morceau varié où guitare et orgue se rejoignent à l’unisson. « Downhill And Shadows » est un peu le « Red House » de Colosseum. Une intro au saxophone, puis avec deux instruments soufflés en même temps. Superbe Blues, avec une guitare qui se fait langoureuse et sexy.

Ce titre a toujours été un de mes Blues préferés. L’intro est grandiose, et le chorus de guitare est une leçon donnée à tous les pseudos dieux de la six cordes, Clempson y déploie sa technique, son feeling et sa maîtrise de l’improvisation. Six minutes de pur bonheur. « The Time Machine » clôt l’album original. Sur la version remasterisée sortie en 2004, figure un titre bonus « Jumping Off The Sun », à l’intérêt très modéré. « The Time Machine » est ce fameux solo de batterie de Jon Hiseman, enregistré en Juillet 1970

au Royal Albert Hall de Londres, durant lequel il se bat durant huit minutes avec sa double grosse caisse. Pas trop long, il n’a pas le temps d’être ennuyeux, et va à l’essentiel. Son chorus mêle cymbales et toms dans un parfait ballet de baguettes.

Près de cinquante ans après l’avoir découvert, ce solo continue de me faire un feu d’artifices dans ma tête. J’espère qu’il en sera de même pour vous. Pourtant, je ne suis pas fan des chorus de batterie, je peux compter sur les doigts d’une seule main, les batteurs dont je supporte les envolées solitaires. Hiseman est de ceux là. Colosseum se sépare en 1971, Hiseman forme un nouveau groupe Tempest avec Paul Williams, Allan Holdsworth, Mark Clarke, l’espace d’un album et d’une tournée, avant que ce dernier ne prenne la forme d’un trio, composé de Ollie Halsall à la guitare, ex Patto, Mark Clarke basse et Hiseman, pour un album « Leaving In Fear » et une nouvelle tournée hélas sans lendemain. Colosseum se reforme en 1994 pour une tournée qui fera l’objet d’un album live. En 1996, le groupe entre en studio pour enregistrer un nouvel album « Bread & Circuses ». 2004 voit la mort du saxophoniste Dick Heckstall Smith, il est remplacé par la femme de Jon Hiseman, Barbara Thompson. Un album live est publié pour les quarante ans du groupe, qui hélas, donne son tout dernier concert le 28 février 2015, au Sheperds’s Bush Empire de Londres. Tout cela fait partie de l’Histoire, et je vous en raconterai les péripéties dans un autre article… Jon Hiseman décède le 12 juin 2018, à Sutton, London.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.