ART SPIEGELMAN : « MAUS ». PRIX PULITZER 1992.

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« À la mémoire de mon Papa, qui marche à mes côtés chaque jour de ma vie, et qui me désigne toujours la bonne route à suivre…. »

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Depuis quelque temps déjà, j’ai envie de vous parler d’une bande dessinée pas comme les autres, une bande dessinée pour l’Humanité, une bande dessinée que l’on devrait étudier dans les lycées, les collèges et les facultés. Une bande dessinée qui fait oeuvre de mémoire, et qui permet au plus grand nombre de mieux cerner, et d’essayer de comprendre une des périodes les plus sombres, et les plus dramatiques de l’histoire du XXè siècle.

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Une bande dessinée qui à sa place au côté de livres tels que La Nuit dElie Wiesel, Si C’est Un Homme de Primo Levi, Le Bréviaire De La Haine de Léon Poliakov, La Shoah, Impossible Oubli de Anne Grinberg, Ces Enfants Qui Nous Manquent d’Antoine Spire, La Force Du Bien de Marek Halter, Les Fleurs Du Soleil de Simon Wiesenthal, Hitler M’a Dit de Herman Rauschning, Shoah, le texte du film de Claude Lanzman, La Liste De Schindler de Thomas Keneally. La liste n’est pas exhaustive, un grand nombre d’ouvrages traitent de cette sombre période, où l’homme est devenu un loup pour ceux qu’il ne pensait pas étre des hommes « ….les juifs sont indubitablement une race, mais ce ne sont pas des humains….« Adolph Hitler ». Cette bande dessinée est née sous la plume de ART SPIEGELMAN, un dessinateur américain, né en 1948, dont les parents juifs polonais ont émigrés aux Etats Unis après la fin de la guerre, et ont opté pour la nationalité américaine.

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ART, ARTIE, voit peu souvent son père qui s’est remarié après le suicide de sa femme, alors, pour se rapprocher un peu plus de lui, il lui demande de lui raconter sa vie là bas en Pologne, avant, pendant et après la guerre. A chacune de ses visites ARTIE prend des notes, qu’il transformera plus tard en petits dessins. De la vie de ses parents, Vladek et Anja, ARTIE SPIELGELMAN tirera une bande dessinée qui bouleversera le monde entier, et qui lui vaudra, honneur suprême le prestigieux Prix Pulitzer en 1992.

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Hitler disait que les juifs n’étaient pas des humains, ARTIE poussera le vice à son extrême. Puisque les juifs sont, toujours pour Hitler, de la vermine dont il faut absolument se débarrasser, il les représente en humains, mais avec des tête de souris, et comme l’ennemi juré des souris est le chat, les Allemands ont des têtes de chats. Les Polonais eux, sont représenté avec des têtes de cochons. Cette bande dessinée a pour titre MAUS, souris en allemand. Les dessins sont assez naïfs, et en noir et blanc, Vladek, le père a toutes les caractéristiques du juif d’un certain âge, marqué par la vie, et qui a vu trop d’horreurs pour se sentir vraiment bien, il prend des médicaments que lui seul peut préparer, car les autres ne savent pas le faire aussi bien, c’est un vieil homme égoïste, un peu casse-pieds, tyrannique envers sa seconde femme Mala, la belle-mère d’Artie. La traduction française a repris la manière de parler le Yiddish, où l’on met les verbes en fin de phrase, ce qui est agréable lorsque l’on comprend ou que l’on parle le Yiddish, le dialecte des juifs d’Europe Centrale. Chaque visite d’ARTIE chez son père est l’occasion d’approfondir, et d’avancer dans le récit.

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Raconter l’Holocauste sous la forme d’une bande dessinée, est peut-être le moyen de toucher le plus grand nombre de lecteur possible, y compris ceux qui n’ont jamais ouvert un livre de leur vie. La bande dessinée permet de raconter de manière vivante, mieux en cela qu’un historien, la vie, la survie d’une famille au coeur de la tourmente, de l’innommable. Ce qu’il y a de très fort, c’est que l’on passe du rire aux larmes, du quotidien à la dénonciation, de la déportation aux chambres à gaz. Si j’ai voulu vous parler de MAUS, c’est que j’ai trouvé le moment opportun, après les Commémorations de la Libération des Camps, et des nombreux films déjà sortis depuis longtemps dans les salles de cinéma, et parlant tous de cette période si douloureuse, et de la déportation des juifs, « Mr.Batignole » de Gérard Jugnot et « Amen » de Costa-Gavras. « La Rafle » de Roselyne Bosch, « Le Fils de Saul » de Laszlo Nemes, Oscar 2016 du Meilleur Film Etranger, et bientôt la nouvelle version d’ « Un Sac De Bille » de Christian Duguay.  La force de MAUS, c’est d’être aussi fort, si ce n’est plus qu’un film, SPIGELMAN nous prend par la main, et fait défiler une vie entière devant nos yeux, et pour tout ceux qui pense que la bande dessinée est un art mineur réservé aux enfants, MAUS est une gigantesque gifle. Les personnages font partie de notre famille, on ri avec eux, on a peur avec eux, et l’on souffre avec eux, car au fond, pourquoi cette haine, pourquoi cette volonté affichée d’éradiquer un peuple entier sous prétexte que sa religion est différente.

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Hitler a traité les juifs comme de la vermine, les chassant de leur maisons d’abord, les regroupant tous ensemble dans des endroits d’où ils ne pourraient s’échapper, les ghettos, puis pour finir un travail si bien commencé, la mise à mort dans les pires conditions possibles, dans des camps de concentration et d’extermination, en pratiquant sur eux des expériences soi-disant scientifiques ou médicales, en les tuant au travail ou sous les coups… La plupart de juifs d’Europe Centrale ont perdu des membres de leur familles dans des camps de concentration, moi-même, j’y ai perdu à Auschwitz, mes grands-parents paternels, et une des soeurs de mon père, ils avaient 41 et 46 et 16 ans……..

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Auschwitz-Birkenau, Treblinka, Sobibor, Maidenek, Belzec et combien d’autres encore où l’on fabriquait du savon, des presse-papiers en tête momifiées, des abats-jours avec la peau de ceux qui avaient été des hommes, des femmes, des enfants, qui ne demandaient qu’à vivre. MAUS est un miroir dans lequel chacun peut voir qui il est, réellement au fond de lui, dans quel camp il aurait été. Au cours de l’été 1941, le Commandant S.S. d’Auschwitz, Rudolph Hoess est reçu personnellement par Himmler, qui lui dit : « …..Le Führer a donné l’ordre de procéder à la solution finale du problème juif. Nous, les S.S. sommes chargés d’exécuter cet ordre. C’est à vous que cette tâche incombera. C’est un travail dur et pénible qui vous attend. Vous devez garder un silence complet au sujet de cet ordre, même devant vos chefs hiérarchiques…… » De grands auteurs raflés et envoyés dans des camps, nous ont laissé des témoignages bouleversants, comme Primo Levi, arrêté en décembre 1943, en Italie, qui finit à Auschwitz où il passe dix mois.

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Dans son livre Si c’était un Homme, il raconte son expérience concentrationnaire : « …Ce sont eux, les Muselmänner*, les damnés, le nerf du camp; eux la masse anonyme, coutinuellement renouvelée et toujours identique, des nombreux hommes en qui l’étincelle divine s’est éteinte, et qui marchent et peinent en silence, trop vides déjà pour souffrir vraiment. On hésite à les appeler des vivants : on hésite à appeler mort une mort qu’ils ne craignent pas parce qu’ils sont trop épuisés pour la comprendre. Ils peuplent ma mémoire de leur présence sans visage, et si je pouvais résumer tout le mal de notre temps en une seule image, je choisirais cette vision qui m’est familière : un homme décharné, le front courbé et les épaules voûtées, dont le visage et les yeux ne reflètent  nulle trace de pensée……. » Primo Levi s’est suicidé en 1987, trop d’images le hantaient …

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Et bien oui, encore oui, MAUS c’est tout cela et plus encore à cause des dessins, de ces coups de crayons simples, sans trop de détails, mais d’une puissance exemplaire. MAUS c’est une grande tranche de vie, malmenée, bafouée, persécutée. Je pense qu’il faut revenir sur le passé, même plus de soixante dix ans après, car oublier serait trahir, renier ceux qui ne sont jamais revenus, les effacer d’un coup de gomme, comme si rien ne s’était passé, non, je crois qu’il ne faut pas, nous avons un devoir de mémoire, car bientôt les derniers survivants auront disparus, et avec eux, la mémoire orale, les images du souvenir. Bientôt, il ne restera plus personne, cette génération aura vécu dans la douleur, et éteinte dans le souvenir de leurs chers disparus. Pardonner, oui, oublier jamais !!!!

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Voici quelques critiques que l’on a pu lire à la sortie de MAUS « ….Pourquoi cette simple bande dessinée est-elle un très grand livre ? Parce qu’elle est à la fois récit issu de la mémoire et essai sur la mémoire…. » Le Point.  « ….Maus est un livre que l’on ne referme pas, même pour dormir. Lorsque deux des souris parlent d’amour, on est ému, lorsqu’elles souffrent, on pleure…. » Umberto Eco.   « ……Maus n’aurait pu être qu’original. C’est un chef-d’oeuvre… » La Quinzaine Littéraire« ….Maus réussit ce paradoxe d’être à la fois une bédé fortiche, et un chef-d’oeuvre littéraire. Et si Maus nous émeut, c’est grâce à ce dépouillement absolu, ce dessin janséniste pour évoquer le comble de l’abomination, de la désolation… » Fluide glacial.  « ….Maus, c’est l’histoire du voyage au bout de la nuit d’un juif polonais, le génocide à la première personne. Une B.D. pour ne pas oublier… »  TéléramaPour terminer ce long article, consacré à MAUS, et dans lequel je me suis permis quelques petites digressions, j’aimerais citer quelques vers du Poète Robert Desnos, déporté à Floha , puis à Terezin, et qui mourut avant de pouvoir revoir les siens, il écrivit à sa femme ce message d’amour bouleversant

 « ….J’ai rêvé tellement fort de toi,

J’ai tellement marché, tellement parlé,

Tellement aimé ton ombre,

Qu’il ne me reste plus rien de toi.

Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres

D’être cent fois plus ombre que l’ombre

D’être l’ombre qui viendra et reviendra

Dans ta vie ensoleillée…. »

Ce livre-bande dessinée, est un monument, un cri poussé à la face monde, à la face des hommes, SOUVENEZ -VOUS afin que jamais une telle horreur ne puisse recommencer … PLUS JAMAIS CA !!! 

* Muselmänner ou Musulmans, était le nom donné aux prisonniers les plus faibles, les plus maigres, au dernier stade de la cachexie.

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