BLUE ÖYSTER CULT : « SECRET TREATIES ». 1974

1974. Richard Nixon démissionne de la présidence des États Unis à la suite du scandale du Watergate. En France, Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la République,

on enterre Georges Pompidou, et Marcel Pagnol. De grands noms de la musique disparaissent, le jazz man Duke Ellington, le compositeur Darius Milhaud, le violoniste David Oïstrakh. Outre atlantique c’est l’ancienne chanteuse des « Mamas & The Papas » « Mama » Cass Elliot qui tire sa révérence. En cette année 1974, il se vend en France cinquante millions d’albums 33 tours, en tête du Hit Parade se succèdent Michel Delpech « Les Divorcés », Daniel Guichard « Mon Vieux » et Claude François « Le Téléphone Pleure ». En avril 1974, est disponible chez tous les disquaires à travers le monde, le troisième album du Blue Öyster Cult, « Secret Treaties ». Dernière pièce constituant le triptyque noir et blanc du groupe new yorkais. Comme les deux précédents il est produit par les incontournables Sandy Perlman et Murray Krugman, également paroliers du groupe. Aujourd’hui encore, pour beaucoup, cet album est le meilleur du groupe. En 1975, un sondage des critiques et des chroniqueurs du magasine « Melody Maker » ont élu « Secret Treaties » comme étant le « Top Rock Album de tous les temps », en 2010, le magasine « Rhapsody », que l’on trouve sur les vols de United Airlines, et qui se veut « Style de vie de Luxe et Magasine littéraire » disait, qu’il était l’un des meilleurs albums, toute époque confondues, de « Proto Metal ».

« Secret Treaties » passe quatorze semaines dans les charts US, grimpant à la cinquante troisième place. Il est certifié Disque d’Or en 1992. À sa sortie, au regard de la pochette où le groupe est dessiné à côté d’un avion de combat allemand de la seconde guerre mondiale, un Messerschmitt 262, des bergers allemands à leurs pieds, et des paroles qui soit disant, valoriseraient des thèmes nazis, comme le surhomme Nietzschéen, les allégations de racisme et d’antisémitisme refont surface. On accuse le Cult de véhiculer des thèses tendancieuses, proches de la pensée nazie. Et ces accusations ne viennent pas seulement des États Unis, mais également d’Europe. Même le logo du groupe, ce point d’interrogation à l’envers, barré d’un trait, le « Cronos » est accusateur contre le BÖC. Sortis de leur contexte, on peut faire dire aux paroles des chansons ce que l’on veut, d’autant plus que les textes des chansons du groupe sont assez abscons, même pour les fans les plus fervents. Il faudra du temps, environ une année, et de très nombreuses interviews dans la presse américaine pour balayer ces erreurs, ces fausses accusations, surtout quand on sait que les deux producteurs, et la plupart des membres du groupe sont juifs… L’album précédent « Tyranny & Mutation » avait placé la barre très haute, le groupe en pleine possession de ses possibilités, de ses moyens avait réussi à créer une entité diabolique et attirante, telle une rose vénéneuse, qui envoute ses proies, pour mieux les torturer.

Pas une note qui semble inutile, ou superflue, tout est limpide et coule avec facilité et évidence. Les guitares dansent un ballet où l’orchestration est millimétrée, rigoureuse et pourtant tout paraît si simple, si normal. Sur « Secret Treaties » BÖC a poussé un peu plus haut, ce sentiment d’évidence, caressant des sommets qu’il n’avait jamais atteint, dans une osmose parfaite, sincère et naturelle, symbole d’une véritable maturité. On peut s’en rendre compte dès le premier morceau « Career Of Evil »,  co-écrit avec Patti Smith, la petite amie de Allen Lanier, le claviériste du groupe. Presque bon enfant, un style décontractée, qui tranche une fois de plus, avec l’étrangeté des paroles, mais où l’on sent poindre sous le vernis, un venin acide, brûlant et corrosif.

Déjà le premier vers est énigmatique, « I plot your rubric scarab » « Je trace ta rubrique scarabée, Je vole ton satellite, Je veux que ta femme soit mon bébé ce soir, Je choisis de voler ce que tu as choisis de montrer, Et tu sais que je ne m’excuserais pas, Je fais une carrière du mal, Payez moi je serais votre chirurgien, Je voudrais choisir vos cerveaux, vous capturer vous injecter, Vous laisser à genoux sous la pluie… » Le reste des paroles est à l’avenant. Légèrement abscons, mais c’est aussi ce qui fait le mystère et de la dangerosité du BÖC. Un court solo guitare, colorise la fin du morceau.

« Subhuman » s’enchaine sans interruption au titre précédent. La chanson se développe sur une guitare et une ligne de basse bien appuyée, qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère des Doors. La rupture de rythme, qui d’une manière cyclique apparait plusieurs fois ajoute une image transgressive et marine.

Tel le flux et le reflux incessant de la mer, ou les vagues qui sans cesse viennent s’écraser sur le sable, ce qui ne fait que renforcer la beauté de la mélodie. « Je me suis calmé, Perdu pour rien, Temps chaud et Holocauste, Laisser pour mort par deux bons amis, Abandonné et mis au lit, Laisser pour mort par deux bons amis, Les larmes de Dieu coulent comme je saigne, Donc, dames poissons et messieurs, Voici mon étrange rêve,  Regardez-moi dans le sac bleu ciel, Et rencontrez-moi à la mer, Les garçons huitres Nagent pour moi maintenant, Sauvez-moi de la Mort, Comme des créatures, Les garçons huitres nagent maintenant, Entendez leurs bavardages sur la marée… »  La guitare de Buck Dharma tresse des dentelles fines et précieuses, soutenue par une batterie délicate et des cymbales. Puissance et délicatesse. Guitares à l’unisson pour un chorus à plusieurs, « Dominance and Submission » un riff imparable,

une batterie furieuse, une énergie viscérale, BÖC met le turbo, et ça booste. « Dominance and Submission », c’est un retour en 1963, les jeunes, le sexe, et la découverte, grâce aux radios, de la musique pop anglaise.

« J’ai passé dix ans, la moitié de ma vie, À me préparer, Puis le moment est venu, Pages de guerre dans les chiffres, Les radios apparaissent, Minuit était la limite, en 1963, Chaque soir on dépliait les couvertures, Chaque nuit c’était à Suzie de monter, Tandis que Charles qu’elle appelait son frère, Tirait la couverture sur ses yeux, Murmures pas très loin, Ça va être le moment… Oui la radio était allumée, Tu ne peux enterrer « le Locomotion », Royaumes de radios, de 45 tours, Trop révolutionnaire… » Final hypnotique, vertigineux, flamboyant, magnifique chorus de Buck. Le Rock’n’Roll continue, dans la plus pure tradition, plus brûlant que jamais avec « ME 262 » les guitares bâtissent un mur de son indestructible. Le heavy se fait métallique, sanglant, assassin. Les bruits de guerre placent le titre dans son époque, seconde conflit mondial, un pilote d’avion nous raconte sa guerre, ses combats aériens contre l’aviation de l’Alliance. Et oui, il est Allemand, et se bat contre nous.

C’est toute la force du morceau, et c’est précisément un des points qui a fait réagir les détracteurs du BÖC à la parution de l’album. Racisme, antisémitisme. Non, simplement provocateurs, et Rock’n’Roll dans l’âme.

« Goering au téléphone pour Freiburg, Dit que Willie a fait du bon boulot Hitler au téléphone de Berlin, Je vais faire de toi une star, Capitaine Von Ondine, voici votre prochaine mission, Un vol de bombardiers anglais au  dessus du canal, Passé midi, ils seront tous là, Voilà vous connaissez votre job, Pendus dans le ciel, Comme de lourds fruits métalliques, Ces bombardiers, mûrs, prêts à être descendus, Toutes ces vies Anglaises que je dois tuer, Avec tous les G encaissés à la montée, Parfois, je m’évanouis  et les perd de vue, Mais pas de récompense pour l’échec, juste la mort, Aussi regardez-moi dans vos rétros, et gardez la trajectoire…Me-262 prince des turboréacteurs, Jomo Junker 004, Faire feu de mes quatre R4M regroupés dans mon museau, Et voir ces avions anglais brûler, Maintenant tu es témoin du rougeoiement du ciel, Quand les forteresses volantes dégringolent, pour la dernière fois, Il faisait sombre au-dessus de la Westphalie, en avril 45…Ces Anglais qui devaient vivre que je dois tuer, Jommo Junker 004, bombardiers ennemis à midi pile » Sur scène, pour le final, tout le groupe prend une guitare et joue,

c’est toujours très impressionnant. Impressionnant comme ce fantastique morceau, tout y est parfait, mature, les chœurs, les arrangements, les musiciens, et bien sur, l’écriture, et la composition. BÖC atteint une perfection, une maitrise, qui en fait en cette année 1974, un des groupes majeurs de ce début des seventies. « Cagey Cretins » un rythme très rapide, batterie en introduction, pour un titre axé Hard Rock, mais à la sauce BÖC. Magnifique chorus de Buck Dharma, extraordinaire tout au long de l’album.

Si je voulais être méchant, je dirais que c’est l’unique titre légèrement en-deçà, de ce qui est présenté sur le disque, mais vraiment légèrement. La connexion basse batterie est parfaite, ça va à toute vitesse, et on en redemande. Nouvelle petite perle  « Harvester Of Eyes » dans lequel les guitares font merveille. La chanson parle d’un sérial killer, qui vole les yeux de ses victimes.

« Je suis le moissonneur des yeux, c’est moi, Je vois tout ce qu’il y a à voir, Quand je regarde à l’intérieur de ta tête, De l’avant à l’arrière de ton crane, Et bien c’est mon signe pour ta mort, Ma liste pour toi est nulle, Je suis le moissonneur des yeux… Je regarde dans toutes les poubelles, Pour voir s’il y a des yeux à l’intérieur… Alors si tu me vois marcher dans la rue, Mieux vaut s’écarter de mon chemin, Mets tes lunettes, Parce que je vais prendre tes yeux chez moi. » 

Le dernier tiers du morceau possède un petit côté progressif, et tendancieux, qui semble remettre en question l’intégrité de la chanson, confirmé avec le final où une boîte à musique lance sa petite mélopée, comme une confirmation de l’horreur et de l’épouvante qui se cachaient dans les paroles. « Flaming Telepaths » est un fabuleux morceau, son piano martelé hypnotique, ses chœurs, ses lignes de basse, ses guitares, c’est un monde à lui tout seul.

 « Bien, j’ai ouvert mes veines trop de fois, Le poison est dans mon cœur et mon esprit, Le poison est dans sang, dans ma fierté, Je suis après la rébellion, je contenterai de mensonges, Est-il étonnant que mon esprit soit en feu, Emprisonné par les pensées de ce que vous faites, Est ce étonnant que la blague soit un fer, Et que les blagues soient sur vous, Les expériences ont trop souvent échouées, les transformations trop difficile à trouver, Le poison est dans sang, dans ma fierté, Je suis après la rébellion, je contenterai de mensonges, Oui je connais les secrets du fer et de l’esprit… » L’apparition surprise d’un synthétiseur, un splendide chorus de guitare, la richesse du morceau éclate dans chaque note, et la folie n’est pas loin, avec la répétition du dernier vers, dans la dernière minute du morceau. S’enchainant sans pause « Astronomy » un des plus grands, des plus beaux morceaux du BÖC. Mon unique regret, qu’il ne soit pas plus long.

Une atmosphère étrange, viciée, irrespirable, un monde nouveau, mais vieux, antique, baigné d’un soleil mort depuis mille ans, éclairé pauvrement d’une lune blafarde. BÖC ouvre la porte vers les étoiles, la Science Fiction, l’Héroïc Fantasy. Le groupe s’y plongera plus longuement, avec l’aide, des années plus tard, de l’écrivain anglais Michaël Moorcock. « Astronomy » c’est d’abord ces notes de piano presque discordantes, lugubres, étranges, annonciatrices de sombre futur, le ton de la voix d’Eric Bloom,

ne fait qu’accentuer ce sentiment d’inquiétude. Le morceau représente une fin, celle de la trilogie « Noire et Blanche », mais une fin qui annonce une possibilité de survie, un ailleurs différent, car oui, le cercle est bouclé, le groupe se retrouve sur la ligne de départ, la quadrature du cercle est complète, les lendemains ne peuvent être que différents, ils regarderont dans une autre direction, vers une nouvelle planète à découvrir, un nouveau monde à explorer. « L’horloge indique minuit et les ombres de la lune font irruption , Juste devant toi depuis leurs cachettes, Tel l’acide et le pétrole sur la face d’un malade mental, Sa raison tend à disparaître, Comme de petits oiseaux au quatre vents, Comme des grattoirs d’argent au mois de mai, Et maintenant le sable est devenu croûte, Une grande partie de toi a déjà disparue, Viens, chère Susie, Allons faire une promenade, Juste là près de la plage, Je sais que tu seras bientôt mariée, Et tu va vouloir savoir d’où viennent les vents, Bien, cela n’a jamais été dit, Sur la carte que lit Carrie, Derrière l’horloge là-bas, tu sais, À la barre des quatre vents, Quatre vents au comptoir des quatre vents, Deux portes fermées, les fenêtres barrées, Une porte pour te permettre d’entrer, L’autre reflète juste la précédente… L’horloge sonne douze heures et les gouttes de lune éclatent, Vers vous depuis leur cachette, Mademoiselle Carrie Et chère Suzie, Se trouveront au Bar des quatre vents, C’est le nexus de la crise, Et l’origine des tempêtes, L’endroit où désespérément on rencontre le temps, Puis tu viens à moi, Appelez-moi Desdinova, Lumière Éternelle… » 

L’imaginaire du BÖC est infini, d’une éblouissante noirceur, comme ce dernier morceau, entre pénombre et lumière, sur un poème de Sandy Pearlman, où comme à son habitude, jovialité et compréhension sont les maitres mots, (private jokes) mais où les images délirantes et folles s’impriment sur la rétine avec force et mélancolie. « Secret Treaties » est devenu un album culte, nécessaire et primordial. BÖC y est impérial, chaque musicien est à son maximum, faisant preuve d’une technique irréprochable, et d’un feeling qui transpire dans chacune des notes. La version remastérisée donne un coup de fouet à l’enregistrement, et propose en plus cinq titres bonus, d’excellentes factures. Mention particulière à Albert Bouchard derrière ses fûts, plus fougueux que jamais. BÖC est un magnifique créateur d’univers, à des années lumières du groupe de Heavy traditionnel, sa musique est sophistiquée, originale, et les textes qui se posent dessus, souvent hermétiques, mais également oniriques, sont loin des « Baby I love you » commun aux groupes de Hard de cette époque. Tout ce que l’on a aimer dans les deux premiers albums, se retrouvent ici, mais magnifié, grandit, plus flamboyant.

Au dos de la pochette, une citation fait référence à un ouvrage de fiction « Origine de la Guerre Mondiale » d’un auteur tout aussi fictif, Rossignol, dont un des personnages est nommé dans le morceau « Astronomy », le sieur Desdinova, Ministre des Affaires Étrangères, qui aurait établi des traités secrets avec les Ambassadeurs de Pluton. D’où le nom de l’album. Tout cela bien sur, sort de la tête de Sandy Pearlman. Les trois premiers albums du Blue Öyster Cult trouveront leur quintessence, leur apothéose en 1975 avec le fantastique album live « On Your Feet Or On Your Knees », enregistré durant la tournée « Secret Treaties », et reprenant des titres de ces trois albums. Au fait, il fut question un temps, que ce troisième album s’intitule « Power In The Hands Of Fools »… Enfin, ça c’est encore une autre histoire…

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