1975. Cinquante neufs millions de disques trente trois tours sont vendus en France. Frank Zappa sort un nouvel album live, enregistré avec son pote Captain Beefheart, « Bongo Fury ». Springsteen offre au monde « Born To Run » son premier chef d’œuvre. Le quatrième album du ZZ Top, « Fandango » est disponible, il se compose d’une face live et d’une face studio, de son côté Led Zeppelin nous présente « Physical Graffiti », et les Who « Who’s by Numbers » avec un Keith Moon, hélas bien loin de sa grandeur passée. En France, « L’Été Indien » de Joe Dassin, « Et Mon Père » de Nicolas Peyrac, et « Le Sud » de Nino Ferrer, explosent, et trustent les premières places dans les Hits Parade. Février 1975, c’est également la date de parution du premier album live du Blue Öyster Cult « On Your Feet Or On Your Knees ». Après la sortie de sa troisième galette « Secret Treaties » le groupe repart en tournée pour sa promotion, outre quelques reprises, le BÖC interprète des chansons issues des trois albums précédents. Ce principe est conservé sur « On Your Feet Or On Your Knees ». Y figure trois morceaux de chaque, et deux reprises, une des Yardbirds et une de Steppenwolf. Aucune réelle précision n’est donnée sur les dates de l’enregistrement, on apprend simplement que les morceaux proviennent des concerts de New York, Portland, Seattle, Phoenix, Long Beach, Vancouver et Passaic dans le New Jersey. Le line-up du groupe reste inchangé, Eric Bloom : vocaux, guitare, synthétiseur, Donald ‘Buck Dharma’ Roeser : guitare, vocaux sur « Before The Kiss » et « Last Days Of May », Albert Bouchard : batterie, guitare et vocaux sur « Cities On Flame », Joe Bouchard : Basse, vocaux sur « Hot Rails To Hell » et Allen Lanier : guitare et claviers.
Une fois de plus, la pochette soulève des griefs chez les adeptes du complot, et les accusations de fascisme et de nazisme refont surface. On y voit une grande limousine noire, sortir de la brume, un fanion sur l’aile avant gauche, arborant le logo du groupe, le fameux ‘Cronos’, stationnée devant une église de style gothique, le tout sous un ciel menaçant. Ce n’est pas terminé, sur la pochette intérieure, le groupe joue devant un public, dont on ne voit que le haut des épaules et la tête, vêtu de robe blanche et encapuchonné, dans un style pouvant rappeler le KKK, ou des gens d’église. Enfin, sur le dos de la pochette, deux mains gantées de noir tiennent une sorte de bible où figurent les titres des morceaux. Il n’en fallait pas plus pour rallumer le feu, et embraser de nouveau les esprits chagrins et torturés… En ce milieu des années soixante dix, les doubles albums live sont légions, tout groupe qui se respecte est obligé de passer par là, c’est quasiment devenu une obligation, une nécessité. Ainsi on peut trouver des doubles live de Deep Purple, Scorpions, Grand Funk, Steppenwolf, Allman Brothers, Crosby, Stills Nash & Young, Joe Cocker, Humble Pie, UFO, Thin Lizzy, le Grateful Dead, Kiss, Derek & The Dominos, Magma, Hawkwind, Ten Years After, Yes, Bob Dylan, Miles Davis, Peter Frampton, Bob Seger, Led Zeppelin, Lynyrd Skynyrd, Frank Zappa, Genesis, Ted Nugent, je m’arrête là, ils sont trop nombreux.
Il était donc logique que le Blue Öyster Cult fasse paraître également son double live, afin de présenter sa première partie de carrière, et d’en laisser une trace à la postérité, et aux fans. De plus son Hard-Heavy-Métal, sombre, inquiétant, sauvage, sophistiqué, trouve vraiment sa quintessence en public, devant un parterre déchainé, hurlant et sautant au rythme de la musique, les morceaux y gagnent encore en puissance, en force, en folie, en ampleur. Ce live synthétise donc la période ‘Noir & Blanc’ du BÖC, il en marque la fin, puisque sur les albums suivants nonobstant la qualité des chansons, le groupe se tournera un peu plus vers un Rock mâtiné FM, épicera un peu moins sa musique, ce qui, par contre, va lui permettre de conquérir un public beaucoup plus important, une reconnaissance plus large et aidera le groupe à placer plus de titres dans les charts américains. Mais il est certain, que pour les temps futurs, et à tout jamais, les trois premiers albums studio et ce live du Blue Öyster Cult resteront comme une entité magique, un trésor hors de prix, un monde nouveau, un univers pas encore défloré, riche de promesses, d’espoir, et d’infinies découvertes.
Même si demain, la musique du BÖC change, et se développe vers d’autres latitudes, d’autres horizons, ces albums seront toujours là, traces, vestiges d’une musique naissante et originale, traçant sa route vers les étoiles. La messe débute par « The Subhuman », avec l’énorme section rythmique des frères Bouchard, Joe et Albert, un Buck Dharma dont on sent immédiatement qu’il va nous en mettre plein les oreilles, avec sa guitare magique,
et le soutient des claviers de Lanier qui par instant, font ressortir quelques tonalités à la Deep Purple, dans certains morceaux. La version est superbe, plus intense, plus puissante que l’originale, et quasiment deux fois plus longue. « Harvester Of Eyes » réchauffe un peu plus l’assistance, et voit l’arrivé des synthés. La guitare rythmique de Bloom pèse une tonne, ses riffs déchirent le silence.
Le morceau devient furieux lors du final, qui entraine tout ce qui se trouve sur son chemin, telle une chevauchée infernale et sanglante. « Hot Rails To Hell » continue cette chevauché fantastique à pleine vitesse, chanté par Joe Bouchard, illuminé par le flamboyant Buck Dharma qui allume des feux d’artifices avec sa six cordes,
tout à la fois diabolique et angélique. La mise en place du groupe est hallucinante de rigueur, de cohésion, et de précision. On passe de nouveau à une vitesse supérieure avec « The Red & The Black » introduit par la batterie d’Albert Bouchard, qui déboule telle une avalanche assassine.
On sent que le groupe se fait plaisir, comme il fait plaisir à tout le public présent durant ces concerts. La scène lui donne des ailes, et il ne se prive pas de décoller très vite, et de voler au ras des étoiles.
La guitare de Dharma telle une comète, incendie l’air tout autour d’elle, et laisse une trainée blanche et scintillante sur l’ombre noire du firmament. « Seven Screaming Diz-Busters » faussement calme au tout début, joue avec nos nerfs, et branche le turbo pour monter très haut dans les tours. Belle ligne de basse dans ce titre de folie, alors que Buck Dharma donne un cours de guitare électrique, et remet les pendules à l’heure. Il est un des plus fantastiques guitaristes de Rock officiant en ce milieu des années soixante dix.
Ce petit bonhomme moustachu, qui ne paye pas de mine, peut en remontrer à des guitaristes beaucoup plus connus, et reconnus que lui, parfois même étiquetés comme guitare héros. Petit clin d’œil sympa à six minutes zéro sept, la basse joue une petite ligne de « Whole Lotta Love » du Zep, court mais sympathique. La voix de Bloom est vraiment superbe, et colle parfaitement à la musique. Ce titre est vraiment hallucinant, grand, très grand moment.
Le groupe enchaine sur l’instrumental « Buck’s Boogie » , un petit clin d’œil à Jeff Beck et son « Beck’s Boogie », qui permet à Dharma d’enfoncer le clou sur ses qualités de six cordiste, il se laisse aller à toutes les fantaisies qui lui passent par la tête, et par ses dix doigts.
L’orgue nappe le fond musical, tandis que Dharma tricote, et se ballade sur son manche, comme si demain n’existait pas, et que les extra terrestres allaient débarquer pour faire des esclaves des habitants de la Terre, il joue vite, avec fluidité, feeling et un sens très aiguisé et pointu de la musique Rock. BÖC appuie sur la pédale de frein, et entame « (Then Came the) Last Days of May », cette ballade venimeuse, empoisonnée et mortellement belle. La beauté du Diable.
« Terre desséchée, pas de sable, du désert, le soleil est juste un point, Très peu d’eau disparait le long du chemin, il fait très chaud, Trois bons copains riaient et fumaient à l’arrière d’une Ford de location, Ils ne pouvaient pas savoir qu’ils n’iraient pas loin, Chacun avait de l’argent dans sa poche… Ils espéraient que cet argent les mènerait loin, Le ciel était lumineux, un feu de circulation, par moment un camion, Ils n’avaient pas vu un flic de toute la journée, Ils avaient apporté tout ce dont ils avaient eu besoin, Des sacs et des balances pour peser la came…Trois garçons en sang, savaient-ils qu’un piège avait été tendu ? Ils étaient d’accord, les derniers jours de Mai, je respirerai l’air sec, Je partirai bientôt, les autres sont déjà là, Vous ne seriez pas intéressés pour venir, au lieu de rester ici, Ils disent que l’ouest est bien à ce moment de l’année. »
La guitare s’amuse et fait des boucles dans l’espace, elle envoie ses notes vers le ciel immaculé, dessinant des arabesques et des motifs vénéneux, et dramatiques. Magnifique. « Cities On Flame With Rock And Roll » nous ramène dans le grand chaudron du Rock’n’Roll,
dans lequel la guitare plonge ses chorus, et les ressort magnifiés d’une étincelle divine et diabolique. « ME 262 » le public tape des pieds, il en redemande, c’est le moment de faire décoller le Messerschmitt 262, et d’allonger son temps de vol, plus de huit minutes.
Chaque membre du groupe prend une guitare, et s’avance au bord de la scène. Cinq guitares, c’est la grande messe électrique, étincelante et tellement Rock’n’Roll. « Before The Kiss (A Redcap) » sa mélopée répétitive et entêtante, le gros son de basse qui l’accompagne, tout celà contribue à donner au morceau un caractère hypnotique.
Un court solo de basse introduit une deuxième partie plus joviale, aux faux accents de musique de cirque, avant que Buck Dharma se lance dans un solo, qui ramène la chanson à ses débuts guerriers. « Maserati GT (I Ain’t Got You) » des Yardbirds, commence par un rythme de batterie effréné, qui entraine le groupe vers un Rock plus Hard, où la guitare se distingue une fois de plus, par de superbes envolées,
la rythmique d’Eric Bloom construit une base sur laquelle la guitare de Buck vient prendre son élan, avant de s’envoler très haut, et de se retrouver seule, dans un ciel sans nuage, planant bien au dessus des oiseaux. « Born To Be Wild » vient clôturer de fort belle, manière ce concert, dans une version plus Hard,
à la partie instrumentale plus longue que la version originale du Steppenwolf, mais qui remue tout de même très bien du popotin.
Ainsi s’achève cet album live du Blue Öyster Cult avec panache et violence, mais également commence une reconnaissance mondiale, qui ne quittera plus jamais le groupe. Dans les années qui vont suivre, deux autres disques live verront le jour, d’excellentes qualités « Some Enchanted Evening » en 1978, et « Extraterrestrial Live » en 1982. Mais ça, c’est déjà une autre histoire…
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