URIAH HEEP : « LOOK AT YOURSELF ». 1971

1971. Selon moi, une des meilleures années dans le monde de la musique. Riche, fertile, cette année voit les sorties de trésors aujourd’hui encore rutilants, et brillants de mille feux. Quelques exemples, d’accord. Crosby, Stills, Nash & Young : 4 Way Street, Cat Stevens : Tea For The Tillerman, David Bowie : Hunky Dory, Deep Purple : Fireball, Janis Joplin : Pearl, Jethro Tull : Aqualung, Jimi Hendrix : The Cry Of Love, John Lennon : ImagineThe Moody Blues : Every Good Boy Deserves Favour, Creedence Clearwater Revival : Pendulum, Led Zeppelin : IVPaul McCartney : Ram, Pink Floyd : Meddle, Rod Stewart : Every Pictures Tells A Story, Santana : III, The Allman Brothers Band : At Fillmore East, The Doors : L.A.Woman, The Who : Who’s Next, The Rolling Stones : Sticky Fingers, pour n’en citer que quelques uns, parmi les plus importants. Pendant ce temps, sur les radios françaises, on entend, classés dans les dix meilleures ventes, Charles Aznavour : Mourir d’aimer, Gérard Palaprat : Fais moi un signe, Esther Galil : Le Jour Se Lève, Joe Dassin : l’Amérique, Johnny Hallyday, Fils De Personne (une reprise du Creedence), Oh! Ma Joie Sarah, Essayez, Martin Circus : Je M’Éclate Au Sénégal, Michel Delpech : Pour Un Flirt. 1971, c’est également la date où apparait chez tous les bons disquaires, le troisième album d’un groupe londonien, Uriah Heep, un groupe de Hard Rock aux forts accents Progressifs,

formé en 1967, et dont les deux premiers albums ont connu un beau succès, « Very ‘eavy…Very ‘umble » en 1970, et « Salisbury » en 1971. Un groupe qui présente quelques affinités avec Deep Purple, comme lui un guitariste au riffs puissants, un sens aiguë des mélodies, un claviériste de talent, à l’univers plus ésotérique que son homologue Purpleien, et un remarquable chanteur, n’hésitant pas à se promener allègrement dans les notes aiguës, voir même sur aiguës. En aucun cas, Heep est un Deep Purple de seconde zone, même si beaucoup de points les rapprochent, les deux groupes sont différents. La musique d’Uriah Heep est plus heavy, plus lourde, dans le bon sens du terme, sans être pachydermique. Le second album avait amorcé un virage vers une musique plus recherchée, plus inspirée,

où les motifs progressifs se faisaient sentir plus explicitement, se démarquant ainsi plus ouvertement de son cousin Purple. Uriah Heep, avec cet album, ouvrait les fenêtres du Hard Rock, pour y faire entrer un vent de nouveauté, une envie d’autre chose, plus travaillée, plus lyrique, qui se concrétisera dans l’album suivant, « Look At Yourself ». N’oublions pas que le premier album de King Crimson, « In The Court Of The Crimson King », chef d’œuvre absolu, est sorti deux ans auparavant, explosant le monde de la musique Rock, éclaboussant de ses effluves progressives de nombreux groupes, ouvrant une route nouvelle, pleines de surprises, d’angoisse, imposant une technicité, une vision, une approche musicale, dans laquelle d’autres groupes vont s’engouffrer, mêlant à leur Rock, un côté symphonique, réussi pour certains, dont Uriah Heep fait partie, boursouflé et raté pour d’autres. Uriah Heep a gouté au côté obscur, on l’entend dans sa musique qui mélange douceur et délicatesse, à une force vénéneuse, cruelle et insidieuse, l’Héroïque Fantasy n’est pas loin. C’est « Look At Yourself » qui va amener la célébrité au groupe, et lui permettre d’émerger de l’océan des groupes de Hard Rock, pour atteindre un palier supplémentaire, qui se verra confirmer par les deux albums suivants, « Demons And Wizards », et « The Magician’s Birthday » tous deux sortis en 1972, et contenant des pépites de toute beauté. Premier album de cette trilogie infernale,

qui sera couronnée par un fantastique album live, et qui se trouve être ce que Uriah Heep a certainement fait de mieux. L’album conjugue à merveille énergie et délicatesse, seul petit bémol, un bassiste bien trop sage, et bien trop conventionnel. Une des grandes forces du groupe, son organiste, pianiste, guitariste, et leader, Ken Hensley, qui en plus d’être un excellent musicien, compose la majeur partie des morceaux. La perle de cet album, le magnifique « July Morning », composé par Hensley et David Byron, le chanteur. Uriah Heep tient là, l’équivalent du « Child In Time » pour Deep Purple, un hymne intemporel, beau et puissant, auquel il ne manque qu’un chorus de guitare, pour s’inscrire dans l’éternité. Mais, « Look At Yourself » c’est d’abord une pochette de disque assez originale, puisqu’en son centre, un effet miroir déformant où chacun peut plus ou moins se voir. À la première écoute, ce qui surprend le plus, c’est le son. Énorme. Mais en même temps, il est limpide, très clair, et d’une puissance phénoménale. Dès le premier morceau, « Look At Yourself », le ton est donné, ça pulse, ça s’envole à toute vitesse, autour d’un orgue impérial, et omniprésent sur tout l’album.

(Photo by Gary Null/Getty Images)

Pour la petite histoire, ce n’est pas David Byron que l’on entend sur le titre, le jour de l’enregistrement, des problèmes de gorge l’empêchent de chanter, obligeant Ken Hensley à s’installer derrière le micro. Classique absolu d’Uriah Heep, cette chanson contient tous les ingrédients qui font qu’un titre du groupe est reconnaissable,

un rythme rapide, Hard Rock boogie, un orgue qui vous attrape les oreilles, des chœurs haut perchés, une guitare dialoguant avec l’orgue, renforcée par une pédale wah-wah, avec, cerise sur le gâteau, en plus les percussions africaines du groupe Osibisa. Comme carte de visite pour un premier morceau, on ne peut rêver mieux, aujourd’hui encore, ce qu’il reste du groupe d’origine et les nouveaux venus, continuent de jouer ce classique à chaque concert, pour le plus grand plaisir du public. L’orgue occupe une grande part du panorama musical, le chorus de guitare wah-wah, vient interrompre cette domination de très belle manière, avant l’arrivé des percussions. « I Wanna Be Free », on retrouve la voix de Byron, ou plutôt les voix grâce au re-recording.

Le rythme est saccadé et puissant, le riff de guitare rappelle celui de « Gypsy », un des titres du premier album, il n’y a pas de doute, on est bien sur un morceau d’Uriah Heep. L’orgue créée une ambiance moyenâgeuse, fantastique, il ne manque plus que des dragons et des druides. Le chorus de guitare, sur l’orgue, doublé à l’enregistrement, reste dans un climat similaire, entre Histoire et Fantasy. « July Morning », c’est un peu le « Child In Time » du groupe, plus de dix minutes de plaisir, qui démarre lentement, uniquement sur l’orgue, avant l’entrée du groupe pour cette belle introduction. Le deuxième tableau nous raconte l’histoire, avec sérénité et délicatesse. La voix de Byron est superbe, et colle à merveille sur la mélodie.

(Photo by David Warner Ellis/Redferns)

« J’étais là cherchant l’amour un matin de Juillet, Avec la force d’un nouveau jour naissant et le beau soleil, Au son des premiers oiseaux chantants je partais pour la maison, Avec la tempête et la nuit derrière moi et une route pour moi, Avec le jour, Vint la résolution Je vais te chercher. 

Je cherchais l’amour dans les endroits les plus étranges, Pas une pierre que je n’ai retournée, J’ai dû essayer plus de mille visages, Mais personne n’était au courant de ce feu qui brûlait, Dans mon cœur, Dans mon esprit, Dans mon âme, Dans mon esprit, Dans mon âme. » Le morceau enfle, prend de l’ampleur, jusqu’au final, on retrouve un beau travail sur les chœurs, avec des notes suraiguës. Le moog, bien présent dans la chanson est joué par Manfred Mann. « Tears In My Eyes » , Manfred Mann toujours au moog, et cette fois ci, Ken Hensley prend la seconde guitare en slide, pour épauler Mick Box. Une fois de plus, la chanson est belle,

très mélodique bien que balancée dans un pur style Hard Rock, avec des cassures de rythme, comme autant de tiroirs remplis de merveilles à découvrir. Un morceau où les guitares sont rois. « Shadows Of Grief » appartient totalement au monde du Progressif, se divisant en plusieurs parties, réservant chacune de jolies surprises. L’orgue reprend sa domination, dans un style assez proche du Floyd des débuts, et le charme opère. On s’attend même à entendre les imprécations d’un sorcier diabolique.

Box nous gratifie d’une guitare wah-wah, pédale qu’il aime particulièrement, et qui se marie si bien  à son style.

(Photo by Watal Asanuma/Shinko Music/Getty Images)

La construction du morceau est riche et belle, Byron s’en donne à cœur joie sur les chœurs suraiguës qu’il maitrise parfaitement, et deviennent un signe distinctif du groupe. « What Should Be Done » est une jolie ballade, qui nous fait entendre le jeu d’Hensley au piano, et pas seulement à l’orgue, même si ce dernier est présent.

Byron nous cueille de sa voix suave et douce. Ce titre acoustique rompt avec le reste de l’album, et nous fait voir une autre facette d’Uriah Heep, plus calme, plus douce. L’album s’achève sur note Hard avec « Love Machine », du pur Uriah Heep, orgue et guitare sont au rendez-vous, et se partagent les chorus et les mélodies tout au long de la chanson. « Adorable petite dame, Tu m’as mis en fuite, Tu es une machine d’amour et tu dis que je suis ton pistolet, 

Mais je m’en fiche parce que je dois savoir, Tu dis que tu étais une perdante, De la pire espèce, Alors je dois essayer difficilement de satisfaire ta soif, Mais je m’en fiche parce que je dois savoir… » Ah, amour quand tu nous tiens… Résultats des courses, un album réussi, quasiment parfait, où de très grands titres, côtoient des morceaux légèrement moins puissants, mais l’ensemble tient plutôt bien la route. Une évidence, Ken Hensley tient une place

de plus en plus importante au sein du groupe, outre la composition et l’écriture des chansons, presque toutes signées de sa plume, son orgue est essentiel dans la musique d’Uriah Heep. On a souvent dit que « Look At Yourself » est l’album de la transition pour le groupe, c’est vrai qu’il marque un virage avec l’album précédent, chacun des titres allant dans la même direction, créant une dynamique et une cohésion nécessaire et importante pour l’équilibre de l’album. Le groupe assume son virage Progressif et grandiloquent, et semble s’y sentir parfaitement à l’aise. N’oublions surtout pas, que ce disque contient deux des plus importants morceaux d’Uriah Heep, « Look At Yourself » et « July Morning », grâce ou à cause de cela, il devient donc indispensable. Justement, ce virage Progressif, dont je vous parlais, Uriah Heep va le continuer, et le confirmer avec le superbe album suivant « Demons And Wizards » dont je vous parlerais bientôt, mais ça, c’est encore une autre histoire…

(Photo by Watal Asanuma/Shinko Music/Getty Images)

***

 

One thought on “URIAH HEEP : « LOOK AT YOURSELF ». 1971

  1. SAUVAGE dit :

    Waouh… Je viens de découvrir ce site incroyable en recherchant une info sur Frank Marino. C’est bluffant et très bien détaillé. Comme les  »chroniques » se succèdent sur des années et qu’apparemment c’est toujours d’actualité, j’aimerai savoir s’il existe une news letters d’informations ? Cela dit, pour l’instant j’ai de quoi me mettre sous les yeux. Excellent Papyblues, vraiment excellent. Bonne continuation.

Répondre à SAUVAGE Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.