THE ALLMAN BROTHERS BAND : « SHADES OF TWO WORLD ». 1991

L’album « Seven Turns » marque le retour à la vie de l’Allman Brothers Band, de la meilleur manière possible. En effet, ce dernier est remarquable, et l’arrivé de Warren Haynes au sein du groupe, y est pour beaucoup. Il amène avec lui du sang neuf, une rage de jouer, et un fantastique jeu de guitare. Son association avec Dickey Betts, fait des merveilles, et ramène le groupe vers les heures de folie, de la grande époque de Duane Allman. La tournée qui suit la sortie du disque se joue à guichets fermés, et ce dans tous les pays où le groupe donne des concerts. Pour cette tournée, le groupe s’adjoint le concours d’un percussionniste, Marc Quiñones, qui devient nouveau membre à part entière. L’entente entre les musiciens du groupe est au beau fixe, et il est rapidement décidé, au retour de la tournée d’enregistrer un nouvel album. Et cette fois ci, le groupe est attendu au tournant.

Car il doit faire mieux, ou du moins aussi bien que le disque précédent, qui avait permis au groupe de revenir dans la cour des grands. Le challenge est important, mais ça ne le fait pas trembler pour autant. Warren Haynes est bien décidé à renouer avec les longues improvisations qui ont fait le succès, et la marque de fabrique du groupe vingt ans auparavant. Tout est bien précis dans son esprit, et tout le groupe applaudit à de cette idée. Une fois de plus Tom Dowd est appelé à la production, lui qui par le passé a travaillé avec les plus grands, Cream, Derek & The Dominos, Eric Clapton, les deux premiers album du groupe, et dans un passé un peu plus lointain, les cris déchirants du saxophone de John Coltrane. L’album voit le jour en 1991, et se nomme « Shades Of Two Worlds », Nuances des Deux Mondes.

La pochette n’est ni belle, ni laide, elle est comment dire, curieuse, les musiciens posent devant une maison en bois, la photo est en noir et blanc, et des taches rouges orangés  figurent sur le bas de la photo, le ciel est rouge, et une énorme boule jaune orangé, comme une explosion solaire apparait au dessus d’un toit. Mais l’important n’est pas la pochette, mais le contenu du disque, alors faisons confiance au groupe, et commençons notre écoute. « End Of The Line » pourrait être l’hymne fédérateur symbolique de la renaissance du groupe,

il en contient tous les ingrédients nécessaires, un thème d’une diabolique évidence, déconcertant de simplicité, de « déjà vu »?… Peut être, en tout cas, c’est du pur Allman Brothers, grosse voix bien rauque de Gregg, une basse bien ronde qui claque, des guitares tout en souplesse, l’accroche est immédiate, on ne peut plus s’en défaire.

Le premier chorus de Dickey est magnifique, le second slidé par Warren est tout aussi lumineux. Les deux se rejoignent à la fin, dans une danse de plaisir partagée, on aimerait bien que cela dure encore. À n’en pas douter, en live ce titre doit être une tuerie, chaloupé, dansant, lyrique, en un mot parfait. Voilà qui s’annonce donc sous les meilleurs hospices… « Bad Rain » Blues Rock énergique, nous ramène aux grandes heures du groupe, renouant avec ses racines sudistes,

il promène sa nonchalance, sa décontraction, traversé de parties de guitares incendiaires et lumineuses. La paire Warren Haynes, Dickey Betts est en osmose totale, et nous gratifie de notes magiques et enchantées, rappelant l’immense valeur de ces deux guitaristes entièrement dévoués à leur art.

Avec « Nobody Knows » composé par Betts, on passe un degré supplémentaire, quand on connait un peu le groupe, dès l’intro, on sait que ça va faire très mal. Entre Rock, improvisation Jazz, accents Blues, les onze minutes du morceau permettent à chacun de s’exprimer à sa convenance. L’orgue de Gregg s’envole en premier,

suivi de la guitare de Dickey pour un chorus assassin, hypnotique comme il en a le secret. Warren assure le second chorus, dans une optique plus Jazzy, plus éthérée, mais tout aussi lumineuse. On retrouve l’Allman Brothers Jam Band, comme celui du live At Fillmore, et c’est magique. On est en face du trésor de cet album, onze minutes de bonheur, de plaisir, de nostalgie, de rire et de larmes, avec pour finir un dialogue de feu entre les deux guitares….

« Desert Blues » chanté par Dickey Betts maintient le niveau, Blues Rock tranquille, estampillé Allman, se positionne en terrain connu,

les guitares sont magnifiques, et échangent chacune leurs arguments. Ça tourne bien rond, c’est propre, c’est net, c’est bien fait. Pas d’étincelles de génie, mais un beau boulot, rondement mené. « Get On With Your Life » est le Blues de l’album, il en faut toujours un. Chanté par Gregg, d’une voix gorgée de Soul, il permet aux guitares de se lamenter avec

délectation et langueur, sur un orgue emprunt de tristesse et de compassion. Encore un bel exercice pour les deux guitaristes qui rivalisent de notes bleues et déchirantes.

« Midnight Man » Blues Rock traditionnel, comme le groupe sait en composer. Rien de vraiment nouveau sous le soleil. On ne peut tout de même pas avoir vingt sur vingt sur tous les morceaux.

Encore une fois pas de génie, mais du savoir faire, on peut même dire du savoir bien faire. « Kind Of Bird » est un hommage d’Allman au grand saxophoniste de Jazz, Charlie « Bird » Parker. Magnifique titre instrumental, à connotation Jazzy.

Il est à souligner que le groupe de Warren Haynes « Gov’t Mule » l’a également mis à son répertoire. Morceau à tiroirs, il laisse le champ libre aux improvisations de chacun. On peut entendre le gros travail du nouveau venu aux percussions Marc Quiñones, qui pose sa patte sur tous les morceaux,

et les teinte joliment. Que dire des guitares, sinon qu’elles sont magistrales sur ce titre, comme sur tout l’album d’ailleurs. « Come On In My Kitchen » de Robert Johnson, les deux guitaristes passent au dobro, et on peut une fois de plus apprécier la voix de Gregg Allman.

Un des points forts de cet album, est indéniablement le jeu de basse d’Allan Woody, il balade en permanence ses notes toutes en rondeurs sur ce très bel album. Et voilà, le disque se termine, alors que dire. Allman nous gratifie d’un splendide album. Supérieur au précédent? Plus libre, plus lyrique, je ne peux pas l’affirmer, il est au moins aussi bon. Le duo de guitaristes fonctionnent du feu de Dieu, et le groupe a gagné une nouvelle jeunesse. Même la voix de Gregg a retrouvé force et beauté. Les deux batteurs abattent un travail de titans, tout en conservant légèreté et feeling, ce qui est rare dans le monde du Rock. Malgré quelques titres un peu en dessous, mais en aucun cas mauvais,

cet album est une petite merveille, et il faut remonter très loin pour retrouver une telle qualité d’écriture et de jeu. Le couleur Blues Rock de « Shades Of Two Worlds » se teinte de reflets Jazzy, un virage que Warren aimerait faire prendre à la formation. On est très loin du style Country Rock que Dickey Betts avait essayé de donner au groupe des années auparavant. Cela indiquerait-il une main mise de Warren Haynes, sur le groupe, un coup d’état pacifique, beaucoup semblent le penser. Qu’importe, le résultat est là, Allman a retrouvé sa grandeur, sa cohésion, sa magnificence, son envie, son plaisir de jouer. Les interprétations sont de très haut niveau, chacun connait son rôle sur le bout des doigts. Les blessures du passé sont bien loin, les cicatrices s’effacent peu à peu.

La production de Tom Dowd est digne d’éloges encore une fois, il a vraiment su capter l’esprit Allman Brothers pour le restituer sur l’enregistrement. Au final, un groupe qui revient au sommet, après quelques passages à vide, de très bonnes critiques musicales, et un public plus que jamais au rendez-vous pour des concerts qui affichent tous complet. Le groupe passe par la France, et donne à « La Cigale » un fabuleux concert, qui résonne encore en moi, et me donne la chair de poule à chaque fois que j’y repense, mais ça, c’est encore une autre histoire…

  

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