CHICKEN SHACK : « IMAGINATION LADY » 1972

Il serait bien trop long et fastidieux de nommer tous les groupes qui virent le jour en Angleterre dans les années 60 et 70. Cette merveilleuse époque de liberté, de joie de vivre et d’explosion musicale a donné naissance aux principales formations de Blues Rock, telles les Yardbirds, Cream, Rory Gallagher, John Mayall’s Bluesbreakers, Led Zeppelin, Jimi Hendrix, Fleetwood Mac, Ten Years After, Free, Savoy Brown, Rolling Stones, et bien sur Chicken Shack, pas forcément le plus connu de tous, et c’est bien dommage. Le groupe voit le jour en 1967 autour du guitariste chanteur Stan Webb, né en 1946 dans le sud ouest de Londres. Avec lui, Andy Sylvester à la basse, Alan Morley à la batterie. C’est après avoir entendu un album sur lequel joue le guitariste de Jazz, Barney Kessel, que Stan Webb décide de faire de la guitare son instrument. Ses premiers pas dans la musique remonte à 1964, avec « The Blue Four ». Suivront, d’autres formations, et de nouveaux musiciens. Ce n’est qu’en 1965 que Stan Webb monte la réelle première mouture de Chicken Shack, avec Andy Silvester à la basse et des batteurs qui se succéderont, Alan Morley, Al Sykes, Hugie Flint et Dave Bidwell. Concernant le nom du groupe, deux versions existent. Ce serait le nom de la grange où le groupe répétait, ou bien, il proviendrait d’une chanson de Jimmy Smith « Back At The Chicken Shack ». Choisissez celle qui vous plait le plus…

Le groupe envoie une cassette de leur musique à Mike Vernon, célèbre producteur, créateur du label Blue Horizon, très orienté Blues. Mais la cassette n’est pas assez bonne pour que Vernon puisse se faire une réelle idée des qualités du groupe. Aussi décide t’il d’aller les voir au Festival National de Jazz et de Blues, organisé à l’Hippodrome Royal de Windsor, en cette année 1967. Il se composait de deux scènes distinctes, une grande, tel qu’il en existe dans tous les festivals, et une petite installée dans une tente. Sur la grande scène se produisait Fleetwood Mac, sur la petite, Chicken Shack pour sa première apparition publique, et son premier grand succès scénique. Vernon est emballé et les signe. 1968 voit la sortie du premier album du groupe, « 40 Blue Fingers, Freshly Packed and Ready to Serve » qui connait un joli succès. Il devient une de ces formations que l’on appelle le « British Blues ». De nouveaux albums paraissent, en 69, « O.K. Ken? » et « 100 Ton Chicken », « Accept » en 1970. 

Quelques changements de personnels affectent de nouveau le groupe, et en 1971, Stan Webb reste seul après le départ du pianiste Paul Raymond, du bassiste Andy Silvester et du batteur Dave Bidwell, partis chez le concurrent Blues Rock, Savoy Brown. Après la rupture avec sa maison de disque, Stan Webb signe chez Deram et reforme un nouveau Chicken Shack, dans une optique plus heavy, plus power trio. Il engage John Glascock à la basse, et Paul Hancox à la batterie. C’est avec cette nouvelle équipe qu’il enregistre en 1972, l’excellent « Imagination Lady ». Un album dans lequel le groupe explose, et qui n’a pas à rougir à côté d’un Cactus ou même d’un Led Zeppelin. Tout le talent de Stan Webb éclate dans chaque morceau, aidé d’une basse épaisse et ronde et une batterie feu d’artifices. Le British Blues se fait plus Rock, plus méchant, plus violent, plus sauvage. On est subjugué par son jeu de pédale wah-wah, ses soli incisifs et inspirés, et ses riffs meurtriers. Il n’a jamais été reconnu à sa juste valeur, à cette époque hormis Hendrix, l’extra terrestre, n’existait que ce que j’appelle le « triumvirat sacré », ‘Clapton, Page et Beck‘, les autres étaient quelque peu ou prou oubliés. Stan Webb fait parti de ces grands guitaristes éclipsés à tort par la brillance, l’éclat et l’aveuglante lumière de ceux que j’ai nommé un peu plus haut.

Avec « Imagination Lady » Stan Webb frappe très fort, depuis quelques années, le Blues s’est durci, lorgnant un peu plus vers un Rock qui commence à se faire plus hard. Led Zeppelin, Cactus et  Cream ont ouvert la route, et ça Stan Webb l’a très bien compris. Ce nouvel album est tout à fait représentatif de son époque, de ce virage pris par le Blues. « Crying Won’t Help You Now » de B.B King ouvre le disque. Tout de suite on est saisi par la puissance du groupe.

La guitare se fait tranchante, rugueuse, la basse ronronne et se balade avec force et panache, la batterie s’emballe et imprime un rythme primitif et sauvage. Quand la wah-wah arrive c’est orgiaque. Webb utilise à merveille de cette fabuleuse pédale, et son chorus est travaillé, imaginatif, en un mot superbe. Certes, les fans de la première heure sont décontenancés, on est loin du Blues traditionnel des débuts du groupe, mais les temps ont changé, le Blues évolue, et si on ne veut pas être dépassé, il faut suivre les évolutions à défaut de les précéder. C’est ce que fait Chicken Shack, il tord le cou au Blues de papa, il le transcende, il l’explose.

« Daughter Of The Hillside » prend la suite, le tempo est moins rapide, mais on sent que la puissance présente, et elle n’attend qu’un signal pour se libérer, un peu comme de rouler doucement dans une Ford Mustang, et de sentir sous le capot les huit cylindres prêts à bondir à chaque sollicitation. C’est pareil pour ce titre.

À l’écoute, on reconnait des airs de parenté avec les Cream, un petit quelque chose de « White Room », loin d’être désagréable. Le chorus de wah-wah est un feu d’artifices de maitrise et de feeling, Webb nous emmène très loin, sa guitare se fait conteuse, elle nous prend par la main et nous raconte ses fantasmes, ses joies et ses peines. Les deux autres musiciens apportent leur talent respectif, et dessinent un paysage ou Webb peut avancer sans se perdre. Le trio est parfaitement au point, et l’ensemble tourne comme une montre Suisse. Il ne faut pas passer sous silence la voix de Stan Webb, elle se marie subtilement à la musique, ses accents râpeux, rauques, donnent au Blues toute sa véracité, sa crédibilité. Peut être tenons nous là le meilleur titre de l’album.

(Photo by Jan Persson/Getty Images)

Le troisième titre du disque est une reprise de la très célèbre chanson de Tim Hardin « If I Were A Carpenter »  chanté également par Johnny Hallyday en 1966. La version de Chicken Shack est brûlante et éblouissante, la guitare éclabousse tout le titre,

lui donnant une nouvelle dimension. Des ambiances différentes le traversent et l’habillent, lui conférant une majesté que la version originale ne possédait pas. « Going Down » de Don Nix, et

l’impression que plusieurs guitares jouent ensemble, elle est lourde, le son est grave, pourtant le chorus est plus tendre, et se lamente. « Poor Boy » autre très gros morceau de l’album. La puissance est encore au rendez-vous pour ce super Blues Rock assez heavy d’ailleurs.

La guitare est partout, les chorus se succèdent avec passion nous criant combien Stan Webb est un guitariste hors du commun. Batterie et basse se font sensuelles, lascives. De nouveau un morceau feu d’artifices. Bravo. « Telling Your Fortune » est surtout là, pour permettre à Paul Hancox de prendre un solo de batterie. Le morceau contient tout de même de bons moments, et je ne parle pas du chorus de batterie, qui sur disque, à de très rares exceptions est souvent inintéressant.

Non, après le chorus, le morceau repart, d’abord en voix et guitare du meilleur effet, puis le groupe reprend, et là, durant trois minutes, Webb nous inonde d’un flot ininterrompu de guitare,

nous faisant oublier le trop long solo de batterie. Et déjà, l’album s’achève avec « The Loser » un morceau plutôt pop, sympa, le genre de titre que l’on entend sur les ondes de radio. Comme quoi, ce putain de groupe peut tout faire.

Indéniablement, Chicken Shack avec cet album nous démontre toute sa force. Mêlant avec panache le Blues, le Rock et le Hard ou heavy si vous préférez. Son Blues s’est sur vitaminé, gonflé à la testostérone. Ces trois musiciens se font plaisir, on le sent, et en plus, ils nous font plaisir. « Imagination Lady » est une réussite totale, mais c’est surtout Stan Webb qui explose dans ce disque.

Il est présent dans chaque note, dans chaque mot. Son jeu de guitare est juste éblouissant, et peut rivaliser avec de nombreux grands noms de la six cordes. Malgré cet album, Stan Webb ne sortira pas du lot, et n’atteindra jamais le firmament, alors que d’autres, bien moins doué que lui, y parviendront. Voilà, vous savez à peu près tout maintenant, « Imagination Lady » est un Chef d’œuvre, et se doit de figurer dans toute bonne discothèque qui se respecte, entre Cactus, les premiers Led Zeppelin, et Cream. La version remastérisée de l’album, outre le fait d’avoir un son énorme, nous offre deux titres bonus, en version single, « Poor Boy » et « Telling Your Fortune ». Quelques années plus tard, Stan Webb dissout Chicken Shack et intègre, l’espace d’un album, « Savoy Brown ». Mais ça c’est déjà une autre histoire…


 

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