THE JIMI HENDRIX EXPERIENCE : « ARE YOU EXPERIENCED » 1967

Jimi Hendrix vient d’être démobilisé. Deux années durant, il tourne avec les King Kasuals, puis enregistre avec le saxophoniste Lonnie Youngblood. Nous sommes en 1963, la statue de la Liberté voit Jimi arriver à New York. Il y joue avec les Isley Brothers, Ike & Tina Turner, Jackie Wilson, Joey Dee et Wilson Pickett. Pour une période de six mois, Jimi  travaille avec Little Richard avant d’intégrer le groupe de Curtis Knight, The Squires. Ce dernier lui laisse la bride sur le cou, l’incitant à se mettre en avant sur scène, et à montrer ses talents de guitariste. L’envie de créer son propre groupe se fait de plus en plus insistante dans l’esprit de Jimi . Quelques mois ont passés, Jimi réalise son rêve, il forme son groupe.

Changeant son nom en Jimmy James, il baptise le groupe « Jimmy James and The Blue Flames ». Avec lui à la guitare, un petit surdoué, Randy California, qui, quelques années plus tard, fonde Spirit. Le bouche à oreilles fait son effet, et la réputation de guitariste hors pair de Jimi va croissant. Août 1966, Chas Chandler, ancien bassiste des Animals, entend parler de ce prodige de la six cordes, et passe l’entendre dans un petit club de Greenwich Village, le « Café Wha ».  Jimi  y assure quatre shows par jour, accompagné de musiciens qu’il connaît à peine, pour une rémunération de quinze dollars. Chas reste des heures à l’écouter, sans arriver à comprendre que personne ne l’ai pris en mains, pour s’occuper de lui. Chas est émerveillé par le jeu de Jimi,

bien que droitier lorsqu’il écrit, Jimi est gaucher pour jouer sur sa guitare. Aussi, il la retourne, et inverse les cordes. Jimi a parfaitement analysé le jeu de ses ainés, et en exploite tous les tics, les gimmicks, les trucs pour amuser et émerveiller le public. Durant ses concerts, il joue la guitare dans le dos, derrière la tête, voir même avec ses dents ou sa langue. Il est passé maître dans l’art d’utiliser les effets spéciaux, tels, le vibrato, la pédale wah-wah, l’octavia, la distorsion, le fuzz face, et ce principalement sur une Fender Stratocaster, sa guitare préférée. Chas Chandler est tellement désireux de faire connaître Jimi Hendrix, qu’il l’emmène avec lui à Londres, sans oublier de lui faire reprendre son vrai nom, mais en changeant l’orthographe de son prénom.

Chas recrute des musiciens pour le futur groupe de Jimi . De nombreuses auditions sont nécessaires, il retient Noël Redding, un guitariste, qui assurera la basse, pour la batterie, c’est plus délicat. Jimi a en effet retenu deux musiciens, et n’arrive pas à choisir, à les départager. Plus il joue avec eux, moins il sait lequel garder. La seule idée qui lui traverse l’esprit, est de tirer à pile ou face. C’est très frustrant de prendre une telle décision de cette manière, mais Jimi n’en voit aucune autre.

Il demande donc à Mitch Mitchell et à Aynsley Dunbar de choisir, et c’est Mitch qui remporte la victoire. Dunbar connaîtra une carrière extraordinaire avec Frank Zappa, Journey, Jefferson Starship, Jeff Beck, Lou Reed, John Mayall, Bowie, j’en passe et des meilleurs. J’imagine tout de même, que de temps à autre, il doit repenser à la direction qu’à pris cette pièce de monnaie, qui en une fraction de seconde a fait basculer son destin et sa vie…

Le « Jimi  Hendrix Experience » est né. Les premiers concerts sont donnés en France, en première partie de Johnny Hallyday, culminant par un show à l’Olympia de Paris, le 18 octobre 1966.  De retour à Londres, Chas désire montrer son protégé au « swinging London », il invite de nombreux musiciens à venir le voir, afin de juger par eux même, qui est ce Jimi Hendrix. dont tout le monde parle. Aussi peut-on voir dans les premiers rangs, Paul McCartney, Pete Townshend, John Lennon, Mick Jagger, Jeff Beck, et bien sur Eric Clapton dont le groupe « Cream » défraie la chronique, et tient le haut du pavé en matière de Rock et de Blues, en cette fin d’année 1966. Tout ce beau monde est scotché, comme paralysé par la claque monstrueuse de pur génie d’Hendrix. Impressionnés, oui totalement, envieux, jaloux, certainement un peu aussi.

L’Experience entre en studio et enregistre un premier single « Hey Joe », que le groupe interprète déjà sur scène. Sorti le 16 décembre 1966, il atteint la quatrième place du Top Anglais. En mars 1967, « Purple Haze » sort en single, avec un avertissement stické sur la pochette, précisant qu’il ne faut en aucun cas essayer de corriger le son du disque, et que la distorsion entendue est voulue par l’artiste. « Purple Haze » se classe en quatrième place du Hit. La troisième chanson à arriver dans les bacs est « The Wind Cries Mary », un merveilleux morceau doux et aérien. Jimi et l’Experience sont sur toutes les couvertures des revues spécialisés.

Il devient la coqueluche du public, on essaie d’imiter sa manière de s’habiller, les vestes militaires fleurissent dans les rues, Eric Clapton va même jusqu’à se faire friser les cheveux en hommage à Jimi . Le 12 mars 1967, sort en Angleterre le premier 33 tours du « Jimi Hendrix Experience », il s’intitule « Are You Experienced? », et va révolutionner le monde de la Musique. Il y aura un avant et un après « Are You Experienced? ». Dans les charts anglais, l’album va coller aux fesses de l’indétrônable « Sergent Pepper » des Beatles, en monopolisant la seconde place des mois durant. (Trente trois semaines très exactement). 

Jimi est devenue une super star, en Europe, par contre, c’est toujours un parfait inconnu chez lui, aux États Unis, où l’album n’est même pas classé. Pour remédier à cet état de fait, Hendrix et son groupe s’envolent pour l’Amérique, et le 18 juin 1967, participent au Festival International de Musique Pop de Monterey. Au milieu d’artistes comme Janis Joplin, Otis Redding, Ravi Shankar, The Mamas & The Papas, Scott McKenzie, Eric Burdon, The Byrds, Simon & Garfunkel, Canned Heat, Al Kooper, Steve Miller Band, Quicksilver Messenger Service, Jefferson Airplane, Buffalo Springfield, Grateful Dead. Montant sur scène avant Hendrix, les Who donnent également leur premier concert sur le sol américain.

Townshend et Jimi veulent passer les premiers, ils savent pertinemment qu’il sera difficile de passer après l’autre, et c’est de nouveau un pile ou face avec un dollar qui décide qui monte d’abord sur scène. Les Who gagnent. Hendrix passe après eux. Jimi connaît l’impact scénique des Who, la puissance du groupe sur une scène, aussi, il décide ce soir là, de monter d’un cran supplémentaire l’impact, le choc de sa prestation. À l’issue du concert quant tout aura été donné, Jimi brûle sa guitare comme une offrande au public.

La prestation du groupe lui ouvre toute grande la porte des États Unis. Jimi a réussi son pari, la super star est devenue un Dieu !!! « Are You Experienced » est considéré comme l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur premier album de toute l’histoire du Rock. En sept mois, plus d’un million de copies furent vendues, reconnu quintuple disque de Platine en 2004. Il est temps de se pencher un peu plus sur ce Chef d’œuvre du Rock Psychédélique, de plonger dans ses entrailles, pour en tirer la substantifique moelle. Le morceau qui ouvre cette Bible d’un autre univers est « Foxy Lady »,

Hendrix utilise plusieurs pédales d’effet, le titre est direct et éclate au visage de l’auditeur. La guitare hurle son amour de superbe manière, bourdonnante, en un maelstrom perpétuel et incandescent.

BEFA8F Musician Jimi Hendrix performs in concert

Elle aborde des mondes inconnus encore vierges de toute trace humaines ou non, enfantés par les visions et les délires issus d’un cerveau en ébullition, sous les prises répétées de produits étranges et illicites. « Manic Depression » poursuit son œuvre de destruction des barrières pré-établies, appuyé s’il en est par la rythmique assassine créée par Noël et surtout par Mitch qui frappe caisse claire et toms comme si sa vie en dépendait.

La chanson grimpe jusqu’à atteindre un infernal climax jazzifiant, au delà duquel plus rien ne peut vivre, et plus rien n’existe. Mitch Mitchell devient l’Elvin Jones de Jimi Hendrix. Accompagnant ses folies, ses déchirures, ses passions. Le chorus de guitare est brillant, subtil, habité, extra terrestre, en un mot étourdissant. Potentiomètres poussés en zone rouge, une tempête de larsens, de réverb, des effets en veux tu en voilà. Extraordinaire morceau déjanté.

« Red House » vient calmer le jeu, c’est un Blues, un des rares composé par Hendrix, tout en finesse, ciselé, diamant brut que Jimi vient ciseler pour en parfaire toutes les facettes.

Un chorus magique une fois de plus, une pépite qui sur scène, selon le mood du soir, atteindra des dimensions plus généreuses. « Can You See Me » est un Rock énergique qui lorgne un peu du côté de Clapton et des « Cream », mais d’un Clapton plus sauvage, moins humain.

Cette chanson aurait presque pu se trouver sur « Disraeli Gears ». « Love Or Confusion » de nouveau un Rock mais teinté

psychédélique, la voix est belle et chante de concert avec la guitare, Mitch Mitchell assure un beau jeu de batterie dans ce titre des plus originaux.

« I Don’t Live Today » introduit par Mitch Mitchell aux drums, fera le régal des spectateurs durant les concerts.

L’héritage Cherokee d’Hendrix, fait qu’il dédie cette chanson aux Indiens d’Amérique. Les rythmes tribaux appellent à une danse sacrée, soutenue par la guitare et la voix, traversées d’effets sonores, flèches enflammées transperçant les nuées. « May This Be Love » particule extra terrestre, traversant l’univers,

en une ballade stéréophonique, douce et belle, à la guitare ruisselante comme une chute d’eau, ponctuée d’une frappe de batterie légère et fluide. Une chanson OVNI, particulière, et inspirée. « Fire » est un déchainement d’impacts furieux  entre Rock, Rhythm & Blues, Funk,

scandé par la voix forte de Jimi, constamment relancé par le drumming puissant de Mitchell,

avant un chorus court et rhythmique, propulsant le titre en un Classique instantané. « Third Stone From The Sun »

autre OVNI de l’album, renferme en son sein plusieurs atmosphères différentes, délires hallucinatoires, orgies sonores traversées par moments de Jazz ternaires soutenus par un magnifique accompagnement de Mitchell. On nage en pleine science fiction. Jimi s’est envolé très haut dans le ciel, tutoyant les étoiles, déchirant les nuées de notes nouvelles, inconnues auparavant. Exercice-spatialo-psychédélico-expérimental insensé d’Hendrix, dépassant le champ des possibles pour atteindre une nouvelle frontière, l’Absolu. L’homme a disparu, il est devenu un Dieu…

« Remember » est un retour sur le plancher des vaches,

un Rock mid tempo plus traditionnel, une petite chanson plus banale, bien éloignée des délires Hendrixien. « Are You Experienced? » Là, on est sur du très lourd. On change de galaxie.

Le système solaire est différent du notre. Les hallucinations reviennent, plus folles que jamais, intenses et récurrentes. Des bandes magnétiques passées à l’envers, une guitare venue d’ailleurs, des visions inédites, un monde nouveau s’offre à nous. La saturation est le maître mot, Hendrix triture sa Fender pour en sortir des notes agonisantes, déchirées, suppliantes. C’est Magique. « Hey Joe » est un Rock basique, mais Ô combien jouissif.

Des chœurs font leur apparition pour la première fois sur l’album. Sublime chorus de guitare tout en retenu et feeling, et de belles relances de Mitch, parcourent le morceau, lui insufflant une énergie toujours renouvelée.

Cette chanson, nous Français la connaissons bien, puisque notre Jojo national, l’avait mise à son répertoire. À noter que c’est l’unique reprise de l’album, tous les autres titres étant composé par Jimi Hendrix. « Stone Free » n’était pas présente dans les éditions américaine et anglaise, lors de la publication de l’album.

Elle figure par contre dans les rééditions de 1997, remastérisée pour la première fois d’après les bandes originales. « Stone Free » est un uppercut dans la face, le titre est racé, félin, souple et puissant comme un fauve. « Stone Free » est une promenade dans une jungle hostile, dangereuse, et pourtant, combien mystérieuse. Superbe solo d’Hendrix, comme il se doit. Le morceau prend bien sur toute sa puissance sur scène. « Purple Haze » Classique parmi les Classiques,

c’est un peu l’hymne de Jimi Hendrix, il l’accompagnera tout au long de sa trop courte vie. Ce titre est un bombe qui explose à chaque écoute, surprenant, déconcertant, totalement diabolique.

Il est inspiré par un rêve d’Hendrix. « L’idée venait d’un rêve que j’avais fait, dans lequel je marchais sous la mer. C’était en rapport avec une histoire que j’avais lue dans un magazine de science fiction ». Cette histoire était un récit de Philip Jose Farmer.

« La brume violette m’aveuglait
Je ne sais pas si c’est le jour ou la nuit
Tu as fumé, fumé mon esprit
Est-ce demain ou juste la fin des temps »

On a longtemps pensé, à tort, qu’il était la résultante d’une prise de LSD. Dans ce morceau Hendrix utilise une pédale d’effets Octavia, qui double les notes à l’octave supérieur. La puissance du morceau à fait dire à de nombreux critiques qu’il a ouvert la porte au Hard Rock.

« Purple Haze » navigue entre deux mondes, le notre dans sa banalité simple, et celui psychédélique, et lumineux où se réfugie Hendrix pour échapper aux noirceurs du quotidien. Cette chanson est incontournable et intemporelle. « 51st Anniversary » est un Rock

lumineux, swingant et dansant, tendu comme une corde à sauter, sans vraiment de chorus. Une pierre brut à prendre comme telle. « The Wind Cries Mary » Chef d’œuvre tout en grâce, et délicatesse,

semble déambuler à travers nappes de brouillard. Le solo de guitare est aérien et tendre, il se promène sur un parterre fleurit où la tristesse tient la main à la mélancolie.

« Un balai nettoie lugubrement
Les morceaux brisés de ma vie d’hier
Quelque part une reine pleure
Quelque part un roi n’a pas d’épouse
Et le vent, il pleure Marie »

Hendrix possède cette faculté de pouvoir nous éblouir avec des musiques Rock, presque Hard, et à l’opposé, avec des mélodies d’une extrême douceur, tout en langueur et poésie. « Highway Chile » est le dernier titre de ce premier album du nouveau « Jimi Hendrix Experience ». Au départ c’est un face B de 45 tours, et ne figurait pas sur l’album original. Il est réapparu dans la version de 1997.

C’est un Rock comme Hendrix sait composer, traditionnel et pourtant foncièrement moderne, un magnifique chorus de guitare éclabousse le classicisme de façade. Et bien voilà, « Are You Experienced? » se referme tel un conte de fées pour adultes, l’intensité, la puissance, la flamboyance des chansons restent puissamment ancrés dans notre esprit, longtemps après en avoir partagé l’expérience de l’écoute.

photo Courtoisie

Avec ce seul album, Hendrix a enfanté un nouveau langage musical, une nouvelle esthétique sonore. L’étrange y côtoie le sublime, la raison y côtoie la folie. Si deux ou trois titres sont plus traditionnels, et n’ont pas la même flamboyance, la majorité du disque resplendie tel une myriade de feux d’artifices, plus éblouissant les uns que les autres. C’est d’ailleurs, n’oublions pas, le seul disque qui fut capable de ternir l’éclat du « Sergent Pepper » des Beatles, dans les Hits anglais. Six versions différentes de l’album furent commercialisées. Celle qui nous occupe aujourd’hui, réalisée en 1997, est la seule à proposer l’intégralité des titres figurant sur les autres.

Durant les quatre années de son règne, Hendrix a élargi le vocabulaire de la guitare électrique comme jamais avant lui, et comme personne après. Il sortait de sa six cordes des mondes inconnus et ignorés, des batailles, des explosions, des rugissements, des soupirs d’amour venus d’autres planètes. Planètes qui depuis hélas, ont rejoint leurs lointaines galaxies, à ce point éloignées de la Terre, que leurs noms sont aujourd’hui complètement tombés dans l’oubli. Mais tout ça, c’est une encore autre histoire.

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