GOV’T MULE : « GOV’T MULE ». 1995

C’est en 1989 que Warren Haynes, guitariste de son état, reconnu par ses pairs comme une pointure, rejoint The Allman Brothers Band, à la demande de Gregg Allman et de Dickey Betts. Comme ils ont bien fait. Warren, est un travailleur acharné, pour lui les journées sont trop courtes, et en entrant dans ce groupe de légende, il sait parfaitement ce qui convient de faire, pour le voir revenir à la place qui est la sienne, une des plus grandes formations de Blues Rock de l’histoire. Le groupe a connu trop de déboires, des problèmes à n’en plus finir, d’égo, de drogues, d’écriture. Warren, des idées, il en a plein la tête. Il connait bien Betts, il a joué dans son dernier album solo, « Pattern Disruptive » et l’a suivi comme guitariste de son groupe de 1986 à 1989.

Les deux musiciens se connaissent donc très bien, et se complètent à merveille pour les chorus. Warren était donc le musicien le plus apte à prendre la place de second guitariste au sein de l’Allman Brothers.  Il entre dans le groupe en même temps que le nouveau bassiste, Allan Woody. Dès le premier album de la reformation « Seven Turns »

le ton est donné, le disque est une merveille. Les fantômes des anciens disparus peuvent regagner les cieux, le nouveau groupe est absolument parfait, et leurs fait honneur. Les compositions sont excellentes, les musiciens sont revigorés, et sonnent comme jamais, et l’entente entre Warren et Dickey, leurs échanges, ramène le groupe vingt ans en arrière, lorsque Duane Allman était encore vivant. Le second album « Shades Of Two Worlds » qui sort en 1991 est de même qualité.

Le groupe s’est retrouvé et fait plaisir à voir et à entendre. Seul le troisième album de ce triptyque de la renaissance d’Allman datant de 1994, « Where It All Begins » est plus faible, mais contient tout de même quelques pépites.

Comme je vous le disais un peu plus haut, Warren Haynes est un boulimique de travail, il n’en a jamais assez, il ne peut rester sans rien faire, en plus des Allman, il organise des concerts du Grateful Dead, en prenant la place du regretté Jerry Garcia à la guitare. Mais ça n’est toujours pas suffisant et une idée, un projet, lui tient à cœur depuis quelques années déjà. Profiter des moments ou Allman Brothers ne tourne pas, et n’enregistre pas, pour travailler avec une nouvelle formation. Warren veut former un groupe, un Power trio, un Jam Band, comme les Cream ou l’Experience. Allan Woody, le bassiste, avec qui il s’entend à merveille musicalement, est de la partie. Pour tenir la batterie, le musicien de Dickey dans l’album « Pattern Disruptive », Matt Abts. Le nom du groupe « Gov’t Mule ».

Et ces trois là sont capables de tout, ils peuvent absolument tout jouer, sans aucune barrière restrictive. On peut ainsi aller des Stones à Zappa, en passant par Pink Floyd, les Who, Zeppelin, et faire un détour par le Mahavishnu, ou John Coltrane, le brassage est impressionnant. Alors que peut donner un groupe dont chaque musicien est passé maître dans l’art de son instrument ? Nous allons bientôt le savoir. Les trois gaillards passent leur temps de libre à répéter, à se créer un son, à trouver le matériel suffisant pour assurer des concerts, et de plus à enregistrer un album. C’est donc en 1995 que Gov’t Mule sort son premier album, qui s’intitule tout simplement « Gov’t Mule ». Sur la pochette, un âne recouvert du drapeau américain. Je vous ai déjà expliqué, il y a quelques années,  le pourquoi du nom du groupe.

Pour vous rafraîchir les idées, et en faisant court, voici l’explication. En 1865 une loi, adoptée par le gouvernement d’Abraham Lincoln, promettait  « quarante acres et une mule » à tous les esclaves noirs affranchis. Après l’assassinat de Lincoln, le nouveau président Andrew Johnson refusa d’appliquer cette fameuse loi, « la mule du gouvernement », « the government mule », « gov’t mule ». Au dos de la pochette, nos trois copains n’ont pas vraiment l’air de sourire, on sent bien, qu’ils ne sont pas là pour conter fleurette. Comme je vous le disais un peu plus haut, Gov’t Mule, se veut l’héritier des grands anciens, les supers Power Trio des années soixante, ou soixante dix. l’Experience d’Hendrix, les Cream, Mountain même si au demeurant ce n’est pas un trio. Le groupe nous fait revivre cette fantastique période, ou rien n’était interdit, et où tout était possible. Pour cela, il développe sa propre spécificité, mélangeant sans aucun problème, Blues, Rock, Funk, Reggae, ou Jazz.

Et ce premier album fait l’effet d’une bombe dans le panorama musical Rock de ce milieu des années quatre vingt dix. La technique est uniquement au service de la musique, on sent des influences multiples, tout à fait maîtrisées, assimilées et assumées. Penchons-nous sur cet album, « Grinnin’ In Your Face » ouvre les hostilités, composé par le bluesman Son House, il est chanté a cappella par Warren,

la voix est grave, forte et profonde, le titre est directement enchaîné à « Mother Earth », un Blues lent, puissant, authentique. Et là, ça fait très mal, tout de suite, la mise en place est impressionnante, la guitare est monstrueuse, basse et batterie assurent une section rythmique de folie.

On n’a pas à faire à un Rock Sudiste traditionnel, c’est beaucoup plus fouillé, plus complexe, plus inspiré.

Ça va beaucoup plus loin, le trio aborde la musique sans qu’aucune étiquette ne puisse leur être collée. Ils font leur musique, celle qu’ils sentent, celle qu’ils vivent. Le chorus de guitare est énorme, mais pas tape à l’œil, aucun bling-bling, que du vrai, du vécu. Plus de huit minutes de réel bonheur, de plaisir, de partage. Johnny Winter reprend également ce titre sur un de ses albums, « The Winter of 88 » sur la réédition de 1991, mais la version du « Mule » est à mon avis supérieure. « Rockin Horse » Blues Rock puissant, la voix est vraiment belle, rauque et juste. Entre les musiciens, c’est une osmose parfaite, chacun joue sa partition

, et elle se marie merveilleusement bien avec celle des autres. La recette n’est pas nouvelle,

mais bon dieu qu’est-ce qu’elle fonctionne bien, surtout dans les mains de tels artistes, chacun y rajoute son feeling, sa patte, et le résultat est fantastique, nouvelle sauce, nouvelles épices, nouvel assaisonnement, et tout est différent, le goût est plus prononcé, il reste en bouche. « Monkey Hill » nouvelle tuerie, lourde, épaisse, mais attention rien à voir avec du Hard, on est plus sur du Free, ou Bad Co.

Lourd mais chaloupé, et toujours cette voix gorgée de Soul, et cette guitare qui tranche dans l’épaisseur du morceau, qui balance ses riffs, comme un troupeau de bisons qui charge, avec force et détermination. « Temporary Saint » est plus tendre, moins fou, on calme le jeu. Futur classique du groupe, encore une fois, la technicité des musiciens est au service de la musique, pas d’esbrouffe, mais une simplicité évidente,

tout semble couler avec facilité, aisance, comme si tout celà était naturel, et allait de soi.

C’est l’apanage des Grands. « Trane » est une belle pièce de Jazz/Rock, un savant mélange des deux. Composé en hommage à John Coltrane, le titre est Jazz et décoiffe sérieusement, ça joue de folie, vitesse et feeling,

au bout de trois minutes trente, le tempo se ralentit pour devenir plus Rock, plus binaire, avant de repartir en ternaire, toujours en pure improvisation. Ce morceau est génial, c’est absolument dingue qu’un groupe de Rock puisse jouer ainsi, il faut une sacré technique, et un sacré talent. Ces cocos possèdent les deux!!! « Mule » encore un classique, Matt donne le ton, les autres suivent. le riff est impérial, un invité joue de

l’harmonica John Popper. Encore un titre génial qui explose tout sur son passage, la basse est énorme, et lyrique, comme le fantastique chorus de guitare,

Matt derrière sa batterie, propulse l’ensemble dans la stratosphère, loin, très loin. « Dolphineus » un morceau acoustique orientalisant,

sert d’intro au titre suivant « Painted Silver Light »  qui enchaîne douceur et violence, Rock et Ballade, avec une guitare méchante, mauvaise, une guitare qui fait mal, qui fait peur.

Encore un morceau terrible dans sa construction et son interprétation, chanté avec fureur et détermination. « Mr. Big » seule reprise de l’album est au départ un titre des Free. La version donnée ici est énorme, lourde, puissante et pachydermique. Et pourtant elle ronfle et roule comme une voiture de sport. Le groupe est éclatant, il dessine des palettes de couleurs qui éclatent comme un arc en ciel, plein de bruits et de fureur. Le Mule peut être fier de cette version, sans dénaturer l’original, elle impose une approche qui, sans être trop différente de celle de Free, est plus sournoise, pleine de sous entendus, plus angoissante.

(Impossible de vous balancer un extrait de Mr. Big, l’ordi  refuse catégoriquement !!! Salopard va!!!)

« Left Coast Groovies » (For FZ) est un titre écrit par Warren, comme la plus part des chansons de l’album, et dédié à Frank Zappa.

Un groove plus funk, une belle puissance, avec un côté burlesque presque dissonant, que n’aurait pas bouder « Les Mothers » du moustachu. « World Of Difference » dernier titre de l’album, en est aussi le plus long, plus de dix minutes. Le morceau est lent comme un Blues, calme, pourtant il donne l’impression d’un danger qui sourde insidieusement,

on ne sait pas trop comment, ni pourquoi. Comme un volcan qui serait sur le point de se réveiller, et d’exploser, alors que tout le monde le croit endormi et sans aucun danger. Que de choses à dire sur ce fantastique album. Pas une mauvaise composition, pas une erreur, que du lourd, du très bon. Une interprétation de très haut niveau, trois musiciens au sommet de leur art, prenant un réel plaisir à jouer ensemble.

Un guitariste touché par le génie, qui en plus possède une voix extraordinaire. Aucun compromis, l’album est parfait du début à la fin. Je peux parler de Chef d’œuvre. Pour moi, s’en est un. Il ne ressemble à aucun autre, il est unique. Pour un premier album, Gov’t Mule a frappé très fort, la réussite est complète, les critiques sont excellentes, les ventes sont bonnes, il n’y a plus qu’à voir ce que donne le groupe sur scène, mais ça, c’est déjà une autre histoire…

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