GOV’ T MULE : « LIVE AT ROSELAND BALLROOM ». 1996

Il existe de nombreux groupes pour qui, la scène ne représente qu’une étape obligatoire, un passage incontournable pour vendre plus de disques. Des groupes qui en concert, jouent exactement ce qu’il y a sur le disque, j’en ai vu quelques uns de cet acabit, ce n’est pas les plus intéressants à aller voir. Il en est d’autres pour qui la scène est vitale, essentielle, car c’est sur une scène justement qu’ils prennent toute leur mesure, voir même leur démesure. Gov’t Mule fait parti de ceux là. Devant un public, ils subissent une sorte de métamorphose, et deviennent des sur-hommes, capables de se transcender, donnant une vision nouvelle, une vie nouvelle, à des titres que l’on pensait immuables.

Cream, l’Experience d’Hendrix, Le Band Of Gypsys, Mountain, Grateful Dead, en sont des preuves indiscutables. D’un morceau durant cinq minutes sur un album, à l’instar des groupes de Jazz, ils pouvaient en donner une version de vingt ou trente minutes, improvisant, transcendant,  réarrangeant, transformant un morceau pour en tirer toute la « Substantifique moelle » comme le disait Baudelaire. Gov’t Mule est un de ces groupes, et le voir en action sur une scène, est un bonheur total, une immersion complète dans un monde musical, où trois musiciens réinventent à chaque concert, des morceaux que l’on croyait connaître par cœur. Ces trois là, ont quelque chose de magique. Une fois leur premier album sorti, le groupe profite des moments de repos de l’Allman Brothers Band pour faire de la scène et promouvoir le disque.

L’album étant un succès critique et commercial, il faut absolument le faire connaître du plus grand nombre. Durant leur tournée, le groupe se produit à New York, au Roseland Ballroom, le 31 décembre 1995, en première partie des Blues Travelers. Le concert est intégralement enregistré, et l’année suivante, l’album live sort sur un petit label Foundation, produit comme le disque précédent par Michael Barbiero. Sur le livret intérieur, un petit texte explicatif plein d’humour. « La musique de ce cd, est notre performance complète à la soirée du nouvel an 95/96, avec Blues Travelers au Roseland Ballroom de New York City. Pas d’overdubs, pas de montage, pas d’excuses. Warren accepte toute la responsabilité pour avoir été hors tonalité durant « Painting Silver Light ». Matt accepte toute responsabilité pour la confusion à la fin de « Don’t Step On The Grass ». Tout le reste est la faute de Woody ».

Ils sont bons, et en plus ils ont de l’humour. En un mot, c’est album est simplement MONSTRUEUX, c’est une tuerie totale. Les morceaux sont allongés, beaucoup plus travaillés, et prennent une ampleur hallucinante, et les alliances du Rock et du Jazz, donnent des moments spectaculaires. Dès le premier titre, justement le spectaculaire est là, « Trane » l’hommage à John Coltrane, qui faisait sept minutes, explose ici sur plus de seize,

dans un fracas apocalyptique, nous donnant à entendre sur son chemin des extraits de « Third Stone From The Sun » d’Hendrix, « St Stephen Jam » du Dead, ainsi que « Eternity’s Breath » du Mahavishnu Orchestra de McLaughlin.

C’est pas évident de débuter un concert avec un morceau Jazz, et pourtant ils l’ont fait, les trois musiciens sont au top, ça joue comme c’est juste pas possible, ils parlent, se répondent, dialoguent, alternent passages plus légers, et moments de forte tornade,  passant du ternaire au binaire avec une aisance déconcertante. Ce que l’on entend frise l’exceptionnel, une danse hallucinée, frénétique, une espèce de transe folle qui se calme d’un coup, et nous offre un autre univers, une autre planète pleine de douceur et de quiétude, jusqu’au final qui repart en Rock dans une frénésie salvatrice. Le public ne s’y trompe pas, on vient d’assister à un très grand moment.

Sans coupure, le groupe enchaîne avec « Temporary Saint » un mid-tempo, bluesy rock, à la mise en place aux petits oignons.

La cohésion du groupe est totale, les musiciens savent très bien où ils vont, et quels chemins prendre pour y arriver, accompagnés par la voix parfaite de Warren, parfaite pour cette musique. « Painted Silver Light » est puissant, lourd, et alterne les ambiances. Un morceau qui prend toute sa dimension en live, brillant de mille feux, dansant tel un feu follet avide de liberté, ou un derviche qui aurait oublier comment faire pour s’arrêter.

Pour arriver au final, Warren balance quelques notes de « Nantucket Sleighride » de Mountain. « Don’t Step On The Grass Sam » de Steppenwolf, est interprété d’une manière très

proche de l’original, entre hommage et envie de se faire plaisir.

« Kind Of Bird » composé par Warren et Dickey Betts pour Allman Brothers, nous ramène au début du concert vers « Trane », hommage à Charlie Parker, « Kind Of Bird » nous démontre une fois de plus la capacité du groupe à changer de répertoire, passant d’un Blues Rock à un morceau Jazz,

comme si celà était tout naturel. Warren, Allan et Matt abattent un boulot extraordinaire avec leurs instruments respectifs comme s’ils étaient un prolongement d’eux même, une excroissance naturelle. Après une présentation des musiciens, le groupe revient pour le rappel « Mule », et ça tourne comme un roulement à billes bien huilé, ça swingue, et ça groove. La slide de Warren est assassine,

ce mec est affolant, il peut tout faire, tout jouer avec un feeling pas possible. Ça à l’air tellement simple et facile quand on le voit ou qu’on l’écoute, et pourtant ils ne sont pas nombreux ceux qui

peuvent rivaliser avec Lui. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’il a été élu par le magasine Rolling Stones, meilleur guitariste slide au Monde. Même très loin dans un chorus, en pleine digression, il connait parfaitement le chemin pour revenir au thème, et retomber sur ses pattes. Quelques phrases de « Who Do You Love » pour une petite citation bien placée, et bientôt le morceau se termine, et on reste abasourdit devant un tel concert, une telle maestria est rare dans le monde du Rock.

Le talent du groupe éclate dans chaque morceau, cet album en est la preuve flagrante. Les improvisations sont de grandes qualités, alliant virtuosité et feeling. Tout l’espace sonore est occupé, un guitariste de génie, un bassiste extraordinaire, un batteur remarquable. Pas de compromis, pas de facilité pour vendre plus, pour Gov’t Mule, l’important est de suivre sa ligne et de faire sa musique. Cet album marque un tournant pour le groupe, avec cet album live, il entre dans la cour des grands, un public plus large les suit, ils ont éclaté les barrières du rock sudiste pour l’amener vers une universalité nouvelle.

Ce groupe est une machine de guerre. Les concerts se succèdent aussitôt que le groupe en trouve l’occasion. Ce n’est pas facile de jouer dans deux groupes différents, d’enregistrer des albums et de tourner correctement avec les deux, c’est à ce genre de problèmes que sont confronté Warren Haynes et Allan Woody, guitariste et bassiste du Allman Brothers Band et de Gov’t Mule. Mais ça, c’est déjà une autre histoire que je vous raconterais un peu plus tard…

Sur la réédition de l’album en mai 2007 par Evil Teen, on découvre un morceau bonus. « Voodoo Chile » enregistré live au Roseland Ballroom le 18/10/2001 avec Jack Casady à la basse et Chuck Levell à l’orgue. Morceau d’une durée de 15 : 35. Une bombe !!!

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