THE ALLMAN BROTHERS BAND : « CONCORD PAVILLION, CONCORD, CALIFORNIA ». 10/08/1989

Nous sommes en 1989. l’Allman Brothers Band n’existe plus depuis 1982. Le groupe s’essoufflait, il semblait vidé de la substance qui en faisait un groupe majeur de la Musique américaine. Les derniers albums ne rencontraient plus le succès, ils se vendaient mal, les concerts attiraient de moins en moins de monde, même si c’est durant ces moments live que le groupe est encore le meilleur, les critiques descendaient les derniers albums sortis, rien ne va plus dans le groupe. La séparation était inévitable. Cette année 1989 est celle de la résurrection.

L’arrivée de Warren Haynes à la guitare, Johnny Neal aux claviers et Allan Woody à la basse transfigurent le groupe, qui tel un phœnix, renait de ses cendres. Sans sortir de nouvel album, l’Allman tout juste reformé part en tournée d’été, joue dans tous les festivals américains, et de jour en jour, de concert en concert, reprend de la carrure, des automatismes, et regagne les faveurs d’un public totalement ravi de les revoir de nouveau. Qui plus est, en cette année 1989, le groupe fête ses quarante années d’existence, ce qui n’est pas rien, peu de formations peuvent se targuer d’une telle longévité, même si celle ci a connu quelques moments de relâche.

Les joutes musicales entre Dickey Betts et Warren Haynes ramènent le groupe aux grandes heures de ses débuts, à la folie des guitares des premiers albums, et les battles de Duane Allman et Dickey Betts. Le groupe tourne comme une montre Suisse, celà fait des années qu’il n’a pas aussi bien joué, et n’a connu une telle cohésion entre tous ses membres. Cette année passée à se produire, à jouer sur de multiples scènes, à sentir ce bonheur d’être ensemble à nouveau, et de s’éclater, poussent le groupe à enregistrer un nouvel album, l’album de la renaissance, du retour chez les vivants.

En 1990, apparait « Seven Turns » une merveille, ciselée, léchée, en un mot un véritable album des Allman Brothers, dans tout ce que celà implique. Et cette résurrection, ce retour en grâce est très largement salué par la critique, et par de très bonnes ventes pour ce nouvel opus. Alors pourquoi vous parler aujourd’hui d’un concert d’avant le nouvel album, et bien justement parce que ce dernier est une sorte de best of des anciens morceaux de différentes époques. D’autres albums live sortiront un peu plus tard, avec le même line up, mais pour promouvoir justement la sortie de disques studio, ici le groupe joue, sans aucune nouveauté discographique, et c’est là que réside tout son intérêt.

Le concert du Concord Pavillion enregistré le 10 août 1989, est capté durant la première tournée de la reformation, par une radio FM. On peut y entendre les premières joutes, les premiers échanges entre ces deux gigantesques guitaristes que sont Dickey Betts et Warren Haynes, et elles possèdent déjà quelque chose de magique, de merveilleux. Elles se complètent parfaitement, comme si c’est deux là avaient joués ensemble toute leur vie. Allman est revenu à un niveau qu’il n’avait plus atteint depuis les deux premiers albums studio et le live At Fillmore. C’est inespéré, et laisse présager un futur plus que radieux. Le concert du Concord durait environ deux heures trente, l’album ne contient hélas que sept morceaux et ne dure qu’un peu plus de soixante dix sept minutes. J’aurais bien aimé un double album reprenant la quasi totalité du concert, mais nous devons nous contenter d’un album simple.

C’est tout de même mieux que rien… Les errances passées semblent bien loin, tant la cohésion du groupe est exceptionnelle. Tous les morceaux sont archi connus du public, et c’est justement ce que ce dernier attend, des concerts où seuls tous les grands classiques sont interprétés, et quelles interprétations. De la grande classe à l’état pur. Sur l’album une seule reprise, « Blues Ain’t Nothing » composé aux milieu des années trente par Georgia White, chanté ici par Johnny Neel, le reste n’appartient qu’aux Allman Brothers.

Une des choses importantes de cette tournée, l’importance des claviers, partagés entre Gregg Allman à l’orgue et Jonny Neel au piano acoustiques et électrique. Cette formation, sans la présence de Neel, gravera plusieurs albums live, vers lesquels se tourneront tout ceux qui connaissent peu le groupe, et qui cherchent des témoignages officiels du groupe, contenant des titres des différentes époques. « An Evening With The Allman Brothers Band First Set » de 1992, le « An Evening With The Allman Brothers Band 2nd Set » de 1995, dans lequel on retrouve une version acoustique fabuleuse de « In Memory Of Elizabeth Reed », morceau phare du second album du groupe « Idlewild South » sorti en 1970 et composé par Dickey Betts, et le remarquable double album « Play All Night » live At The Beacon Theatre en 1992. Sans oublier le « Live At Great Wood » Massachusetts, enregistré le 06 septembre 1991, qui existe également en dvd.

Le concert de Concord s’adresse peut être plus aux inconditionnels purs et durs, tel votre serviteur, à la recherche du moindre document discographique, à la seule condition, qu’il soit de bonne qualité sonore. J’ai passé l’âge des pirates enregistrés sur des casseroles, à la limite de l’écoutable que j’achetais lorsque j’avais vingt ans, et qui me ravisaient les oreilles et le cœur!!! La qualité d’enregistrement du « Concord » est très bonne, et permet d’apprécier le concert de la meilleure des façons. Les hostilités commencent avec le classique « Statesboro Blues » et tout de suite on se rend compte que ce concert va envoyer du lourd,

du très lourd, ça tourne au quart de tour,

(Photo by Steve Eichner/WireImage)

et les guitares chantent comme au premier jour, elles virevoltent telles des nuées d’oiseaux de droite et de gauche, le piano vient se mêler à l’ensemble pour un super chorus, suivi par un envol de la seconde guitare. Tout celà est du grand art et de haut vol. Sans oublier la magnifique voix de Gregg, toute gorgée de Soul. L’Allman Brothers est vraiment de retour, ça ne fait plus aucun doute!!! Le public ne s’y trompe pas, et applaudit à tout rompre. L’harmonica de Johnny Neel introduit « Blues Ain’t Nothing » pendant près de deux minutes, avant l’arrivée de la cavalerie lourde, et comme toujours chez Allman,

ça swingue grave, ça balance, ça chaloupe, ça donne envie de bouger,

de taper du pied, de taper des mains, on appelle ça le « feeling ». Les guitares participent à l’ensemble sans trop se mettre en valeur, un simple solo assez court d’ailleurs apparait dans le titre. « Blue Sky » nous ramène vers une période plus « countrysante » du groupe, désiré surtout par Dickey Betts, qui prend le beau premier

chorus de guitare. Après un passage des deux six cordes à l’unisson, c’est Warren Haynes qui enchaine magnifiquement. Ces deux là forment une paire de guitaristes bénies des dieux, c’est un immense bonheur de les entendre jouer, ils peuvent transcender n’importe quel morceau. « In Memory Of Elizabeth Reed » chef d’œuvre absolu, entre Blues et Jazz,

(Photo By Rick Diamond/Getty Images)

il dépose ses notes, ses parfums, ses ambiances comme autant de caresses sensuelles et délicates. Pas loin de quinze minutes d’extases auditives sans cesse renouvelées, ça porte le nom de magie. Dickey Betts a été touché par la grâce pour composer ce titre exceptionnel, ce classique intemporel et éternel.

Le groupe en sculpte toutes les facettes, pour en faire un diamant brillant, scintillant de mille feux, éclairant la scène d’une indicible clarté, irradiant de bonheur quiconque l’écoute. Chacun des guitaristes revisite son chorus, chaque fois différent, les claviers font de même, les couleurs changent en fonction des notes jouées, et de leur vitesse. Derrière, Butch Trucks et Jaimoe, les deux batteurs martèlent leur peaux en cadence, et tissent un canevas mouvant, imprimant au morceau une énergie sans cesse renouvelée et incandescente.

(Photo by Clayton Call/Redferns)

Ça joue et ça brule, tel un feu liquide, diabolique feu grégeois se déversant et illuminant le ciel de ses flammes rougeoyantes. L’Allman carbonise tout sur son passage, comme aucun groupe de métal n’est capable de le faire, avec force, puissance et délicatesse mêlées. « Dreams » autre immense classique du groupe, figurant sur le tout premier album du groupe, datant de 1969, ambiance éthérée,

tout en langueur et sensualité. Le premier chorus de guitare signé Warren Haynes, reste dans cette tonalité langoureuse, comme une déclaration d’amour éperdue qui viendrait se briser sur le rivage. Dickey Betts prend la suite et dialogue avec Warren avant de partir en solo.

Solo magnifique également, il continue à nous parler d’amour, mais un amour moins sensuel, plus intellectuel, plus cérébral. Derrière le groupe joue et distille son groove, la basse d’Allan Woody égraine son chapelet de notes, et pulse sur chaque morceaux de l’album. « Jessica » superbe instrumental, léger et bondissant, appartenant à l’album « Brothers And Sisters » sorti en 1973, et composé une fois de plus par Dickey Betts. Rock très enlevé, ici d’une durée de plus de quinze minutes, empreint de joie et d’optimisme,

« Jessica » a servi de générique à de très nombreux programme de télévision. Claviers et guitares y brillent avec bonheur, les échanges entre Warren et Dickey sont absolument splendides.

Le morceau est parcouru d’ambiances différentes, comme autant de tiroirs pour y découvrir d’autres tempo, d’autres couleurs, d’autres mood. La version donné au Concord est vraiment superbe, la cohésion entre tous les musiciens est absolue, et ça sonne comme jamais. L’album se termine tout naturellement sur l’incontournable « Whipping Post » son intro de basse, ses quinze minutes de bonheur. D’abord les claviers, un piano déchainé, entrainé par le rouleau compresseur des deux batteries, un clavier électrique pris de folie, une guitare qui s’envole là-haut, très loin, pour son voyage.

Ce morceau fait un peu l’effet d’un bulldozer, charriant tout sur son passage,

il est puissant, vigoureux, rock, mais avec des accents Jazzy. Et c’est là, toute la force du Allman Brothers Band, jouer du Rock, du Jazz, du Blues, avec cette énergie positive incroyable, qui entraine tout ce qui se trouve sur sa route, et dessine des sourires sur nos visages d’enfants émerveillés et ébahis par le spectacle que nous offre ses magiciens de la musique, ses sorciers du groove. Le groupe profitera de la fin de cette grande tournée pour composer de nouveaux morceaux, et entrera en studio afin d’y enregistrer leur neuvième album « Seven Turns », mais ça c’est encore une autre histoire…

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