FRANK MARINO & MAHOGANY RUSH : « WHAT’S NEXT ». 1980

Le moins que l’on puisse dire sur Frank Marino, c’est qu’il n’a jamais été reconnu à sa juste valeur. Il est vrai que l’on peut dire cela de bien d’autres musiciens, mais en ce qui le concerne, c’est flagrant. Vous ne verrez jamais son nom dans les référendums sur les plus estimés guitaristes mondiaux, et pourtant, il y a réellement sa place. Et pourtant, que de qualificatifs on pourrait lui attribuer. Il est vrai également, qu’il n’a jamais couru après la célébrité. Malgré tout, Frank Marino est un des plus impressionnants musiciens de sa génération, un Dieu de la guitare, capable de tout faire, de tout jouer. Il reste à l’heure actuelle, un des derniers fils spirituel de Jimi Hendrix. Peut être lui a t’il manqué un ou deux grands hits qui l’auraient propulsé dans les sommets des charts internationaux, ce qu’en fin de compte, il n’a jamais vraiment cherché à faire.

Pour lui, je le cite « …Jouer de la musique a toujours été simplement s’amuser avec des amis, aller au delà n’est pas si important… L’aura, l’amour propre des guitaristes, mais qui sommes nous, nous ne guérissons pas le cancer. Que fait on, nous sommes une bande de potes qui jouons des instruments de musique, et qui gagnons de l’argent pour cela. C’est incroyable, je le ferais même gratuitement… » Mais avant tout, la musique, Frank Marino la pratique pour sauver sa vie. De son vrai nom Francesco Antonio Marino, il nait à Montréal, le 20 novembre 1954, et à l’adolescence il s’intéresse simplement à ce qui passionne de nombreux jeunes de son âge, la musique, et ce qui va souvent avec dans les années 60, les drogues. Il commence par jouer de la batterie avant de choisir la guitare. À treize ans, en 1968, il prend du LSD, cette pratique met fin à ses études, et le conduit directement en hôpital psychiatrique. C’est durant son séjour à l’hôpital pour enfants de Montréal, pour pouvoir s’évader des quatre murs de sa chambre, que Frank apprend à jouer de la guitare.

Il raconte « … C’était une façon de garder mon esprit en dehors de mes problèmes, parce que ce qu’il se passait dans ma tête était terrifiant… Je me suis accroché à cette guitare, comme un noyé s’accroche à une bouée… C’était mon canot de sauvetage… » C’est ce long passage à l’hôpital, qui donnera naissance à la légende crée par des journalistes. Plusieurs versions existent, mais elles sont toutes un point commun, Jimi Hendrix. À savoir, la visite d’Hendrix à la suite d’un mauvais trip de LSD, et le passage de son aura, son fantôme dans le corps de Marino, ou bien la visite d’Hendrix alors qu’il est dans le coma, qui lui fait le don de savoir jouer de la guitare, alors qu’il ne sait pas encore en jouer, et à son réveil, miracle, il joue comme un Dieu. C’est le mythe, la légende autour de Frank Marino, qui continue toujours de beaucoup l’amuser. Durant cette année de soin, Frank est devenu un bon guitariste, et après sa sortie, il monte un groupe, un trio, et joue tout autour de Montréal. De ces différents trips sous acides, il avait raconté aux médecins leurs avoir donner le nom de « ruées, de rushes d’acajou », mahogany rush. Seul gros problème, il ne possède depuis sa sortie de l’hôpital, qu’une vieille guitare bon marché.

Il se souvient « … Ma Mère a dit à mon Père, si l’instrument l’aide à se sentir mieux, il faut lui en acheter un. Elle est descendue dans la rue voir un mec qui en possédait une, elle lui a parlé, et il lui a vendu sa Les Paul SG 61′ pour soixante quinze dollars. Au début je n’avais pas d’ampli, je posais mes dents sur la guitare, et j’écoutais le son dans ma tête… » Frank Marino & Mahogany Rush prend sa forme finale autour du batteur Jimmy Ayoub, âgé de trente ans, et du bassiste Paul Harwood âgé lui de trente deux ans, et s’installe dans la région de Montréal, avec aux commandes un môme de seize ans !!! Le groupe donne de nombreux concerts gratuits, devant une foule bigarrée, fumant de l’herbe et écoutant de la musique psychédélique. Un petit label américain leur propose d’enregistrer un album, Frank qui n’a que seize ans refuse, il ne veut pas faire de disque « … Ce n’est pas cool d’être commercial quand on est hippie… » Pourtant le label insiste, le groupe va se retrouver dans un vrai studio d’enregistrement, bourré d’équipements dont il pourra se servir. Et en plus, Frank pourra faire tout ce qu’il veut, rien ne lui sera imposé. « … Ils ont laissé un gamin de seize ans produire son premier album, qui dirait non à cela?… » Le résultat « Maxoom », 1972, un mélange d’influences diverses, Rock, Blues, Pop, hard Funk, psyché, dominé par la guitare de Marino.

Une dédicace figure sur l’album, il est dédié à Jimi Hendrix, en plus, Frank a composé un morceau en hommage au guitariste disparu. Bien, je vais maintenant chausser mes bottes de sept lieues, pour nous emmener en 1980, date de la sortie du huitième, et nouvel album du groupe, « What’s Next », disque qui nous intéresse aujourd’hui. C’est le dernier album studio où figure le nom du groupe, Mahogany Rush disparait des titres dès l’album suivant, pour ne plus rester que le nom de Frank Marino. Tous les morceaux sont composés par Marino, hormis trois reprises, « Rock Me Baby » de B.B. King, « Mona » de Bo Diddley, et « Roadhouse Blues » des Doors. Le disque est produit et les arrangements sont de Frank Marino. Pour cet album, Frank a fait appel à deux musiciens supplémentaires, son frère Vince à la guitare rythmique, et Jim Zeller à l’harmonica. L’album est bien reçu, et grimpe dans le Top 100 des charts US, et canadiens, durant deux mois. À la première écoute, ce qui frappe immédiatement, c’est la puissance, la force de la musique.

Un Rock sur vitaminé, qui se promène à la lisière du Hard, et une production vraiment énorme. Chaque morceau est une expérience à lui tout seul, on se retrouve sur le fil du rasoir, potentiomètres à fond. Sous un soleil de plomb, soit tu marches, soit tu crèves, aucun compromis, pas l’ombre d’un nuage où chercher une once de fraîcheur. Marino est prêt à tout exploser, on le sent en super forme, et le groupe n’est pas en reste, le plaisir, le bonheur, la joie sont visibles et éclatent dans chaque note à l’intensité d’un véritable album live. Dès le premier morceau, on se retrouve en plein cœur d’un brasier incandescent, « You Got Livin » est foudroyant comme le « yeah » jeté par Marino au début du titre. La guitare est royale, la voix de Frank est en place, la batterie assassine, Jimmy Ayoub frappe ses peaux comme si sa vie en dépendait.

La guitare illumine le morceau, le jeu de Marino est vraiment impressionnant, entre Rock et Hard, il se promène et distille son venin, soutenu par une basse rigoureuse. Excellent première mise en bouche.

« Finish Line » continue sur sa lancée, la mise en place du groupe est plus que parfaite, chacun connait son boulot sur le bout des doigts. Un changement de rythme lance le chorus de Frank, et sur un motif musical bien connu des amateurs de Jazz et de John Coltrane en particulier, puisque très inspiré de « My Favorites Things ».

Frank prend un chorus éblouissant de technique et de feeling, quel  guitariste, entre des gammes plutôt Jazz et un son très Rock, il associe des notes chantantes et hypnotisantes comme le ferait un saxophoniste dans un album de Jazz. Simple, évident, harmonieux, très efficace, mais comme peu de guitaristes sont réellement capables de réaliser. Un bien bel hommage donc à ce géant du Jazz!!!  « Rock Me Baby », Frank Marino nous délivre une superbe version de ce classique de King. Un Rock’n’Roll swingant, poisseux, puissant, quasiment venimeux. Après un premier chorus bien incendiaire, il s’amuse avec ses cordes dans un ballet inattendu de sons inhabituels,

avant de revenir vers une normalité plus féline, et plus Rock, accompagné avec ferveur et classe par un Mahogany Rush vraiment très en forme.

« Something’s Comin’ Your Way » est introduit par la batterie dans une rythmique infernale, et une guitare incisive et tranchante. Le chorus de guitare est dithyrambique et semble gagner en intensité après chaque relance.

Une wah-wah infernale fait son entrée et diabolise cette partie du chorus, dans un crescendo inéluctable. C’est vraiment dingue, quel morceau, quel chorus, ce type est un Monstre, un Alien d’une autre planète, une planète qui s’appellerait « guitare ». Tout amateur de guitare électrique se doit de posséder cet album, c’est une obligation, c’est vital!!! « Roadhouse Blues ». On sent le groupe très à son aise sur ce gigantesque classique de la musique populaire américaine. Marino arrive toujours à nous surprendre avec ses interventions, toujours à point nommé,

toujours au bon moment. L’harmonica apporte indéniablement un plus à cette version, elle discute avec la guitare, pour corser et poivrer le morceau, qui n’a vraiment pas à rougir en comparaison de la version des Doors. Encore une vraie réussite à mettre au crédit de Frank Marino & Mahogany Rush. « Loved By You » est le titre le plus long de l’album, un Blues de près de dix minutes, d’une structure traditionnelle.

Après l’intro, l’énoncé du thème, Marino prend un premier petit chorus, sensuel et lumineux, suivi d’un second, où il développe plus longuement et alterne moments forts

et moments plus calmes. Derrière, le groupe suit le leader avec panache et assiduité. L’intérêt du titre tient surtout aux interventions de Marino, le reste même bien joué, est très classique dans sa forme, et demeure un Blues sympa mais pas révolutionnaire. « Rock’N’Roll Hall Of Fame » fait un peu penser à du Robin Trower dopé aux amphétamines. Une extraordinaire guitare wah-wah accompagnée uniquement par la batterie, part en chorus dans la seconde moitié du morceau.

L’effet est des plus cool, il change le style du morceau, qui déboule à toute allure tel un taureau écumant de rage à la recherche de sa proie. Pour le final, le groupe revient dans la danse, rejoignant la guitare et la batterie dans leur course folle. « Mona » qui clôture le disque, s’enchaine directement au morceau précédant, et semble en garder le principe d’un dialogue guitare batterie tout en rythmique,

comme continuellement en rupture de tempo, même si la basse accompagne les deux autres musiciens. Le final, à la six cordes très Hendrixienne, virevoltante et lumineuse ferme la porte de ce très bel album.

Frank Marino & Mahogany Rush ont pondu une galette assez remarquable. La vivacité et la puissance du groupe sont présentes dans chaque note distillée. Chaque morceau est un petit monde particulier, avec ses règles, son univers. Encore une fois, la production du disque est éblouissante de force et de détails. Frank Marino nous dévoile toute la force de son jeu, de sa technique sans faille, de son extraordinaire maîtrise de son instrument. Les trois reprises, sont largement meilleures que les originales, et démontrent une fois de plus la faculté du groupe à se glisser dans des morceaux d’autres musiciens, et d’en tirer toute la substance vive, pour se les approprier. Et puis, on doit encore une fois citer Jimi Hendrix, dont l’ombre bienveillante semble rôder autour de Frank, comme pour surveiller qu’il ne s’écarte pas du droit chemin. C’est vrai, je suis fan, et comme tout fan, j’ai peut être tendance à en faire trop, mais sincèrement, si vous ne connaissez pas encore Frank Marino, prenez le temps de jeter une oreille sur cet incroyable guitariste. Je laisserais les mots de fin à un autre six cordistes, pas manchot non plus, Zakk Wylde « … Je me souviens de la première fois où j’ai entendu l’album « Frank Marino & Mahogany Rush Live », c’était une expérience comme celle de l’écoute de John Coltrane. Un changement d’esprit, j’ai écouté Frank sur cet album et j’ai été époustouflé… » Quoi de plus beau que la reconnaissance de ses pairs, mais la reconnaissance du public c’est pas mal non plus… Mais ça c’est une tout autre histoire…

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