MOTÖRHEAD : « BASTARDS ». 1993

Dans le monde musical, 1993 connait quelques faits saillants. Le quarante cinq tours disparait de nos vies, et n’appartient plus qu’à nos souvenirs. Clapton remporte cette année là, six Grammy Awards pour son superbe album « Unplugged ». En France, Johnny Hallyday fête ses cinquante ans en donnant trois concerts à guichets fermés au Parc des Princes, devant cent quatre vingt mille spectateurs. C’est également en cette année 1993, que nous quitte Léo Férré, et que Nelson Mandela reçoit le Prix Nobel de la Paix. 1993, voit aussi la sortie du onzième album de notre bulldozer bien aimé, Motörhead, le vingt neuf novembre, presque comme un cadeau de noël pour les fans, « Bastards ». On y découvre pour la première fois, le nouveau batteur du groupe, Mikkey Dee, transfuge de King Diamond. L’annonce de sa venue au sein du groupe crée une vague d’interrogation sur la pertinence de son style de jeu, ce à quoi Lemmy répond lors d’une interview : « …Mikkey est  un batteur incroyable…Attendez de voir… » Effectivement, cette interrogation est vite balayée à l’écoute de ce nouveau disque. « Bastards » était au départ, le nom que Lemmy souhaitait donner au groupe, mais ce dernier étant déjà utilisé par un autre, vous connaissez la suite. Au début des années quatre vingt dix, Lemmy déménage aux États Unis, à la grande surprise des fans, sidérés et inquiets. Quelque part, ils se trouveront confortés dans leur inquiétude, avec les deux albums qui verront le jour. « Bastards » est un album très important, car en effet, on attend Motörhead au tournant. Les deux derniers albums ont énormément déçus, et un troisième échec serait dramatique.

« 1916 » parut en 1991 a vu un groupe en perte de vitesse, ajoutant bien trop d’eau à sa bière, cherchant peut être un peu trop à plaire à un public américain, plus friand d’artifices que de sincérité. Et la sortie de « March Ör Die » en 1992 n’a fait qu’accentuer cet état de chose. Motörhead semble avoir perdu son âme, Philty est parti, ou plutôt a été viré par Lemmy, remplacé par Tommy Aldridge, excellent batteur au demeurant, mais pas vraiment à sa place dans un groupe tel que Motörhead. Les guitaristes Michael « Würzel » Burston, et Phil Campbell présents depuis l’album « Orgasmatron » en 1986, doivent remplacer Fast Eddie Clarke, et venir après Brian Robertson ce qui n’est pas chose facile. Mais ils font ce qu’ils  peuvent, et proposent un Rock’n’Roll infernal et endiablé. Bien sur, dans chaque galette on peut sauver quelques chansons, mais l’ensemble est malgré tout très léger. Lemmy s’est laissé aveuglé par les étincelantes lumières de l’Amérique. Mais pour contredire le proverbe, il n’y aura pas de jamais deux sans trois, avec « Bastards », on retrouve le vrai Motörhead, sans compromis, le bulldozer d’acier et de feu, le Terminator du Rock’n’Roll. Il faut absolument faire oublier les échecs des deux albums précédents, (même si avec le temps, « 1916 » a tendance à devenir un Classique du groupe) et de nouveau frapper très fort. Produit par Howard Benson, le disque sort sous le label indépendant allemand ZYX Music. Lemmy leur reprochera de ne pas avoir fait suffisamment de promotion, alors que le groupe croyait énormément en cet album, il dira « …On a travaillé dur, l’engagement du groupe était sincère, les morceaux étaient bons, la production au top. Je suis très fier de cet album, et c’était décevant de voir que personne à la maison de disques ne s’en souciait… C’est certainement un des meilleurs disques que nous ayons jamais fait… »

Effectivement, « Bastards » est un brûlot de pur Rock’n’Roll, mais pas seulement, il contient aussi des moments plus calmes et pourtant obsédants, comme « Don’t Let Daddy Kiss Me »qui parle de maltraitance sexuelle sur les enfants. Lemmy dira « …La maltraitance des enfants est le pire crime au monde… » Tout est réunis pour faire de « Bastards » un album remarquable, et terriblement féroce. L’arrivé de Mickey Dee apporte du sang neuf et donne un coup de pied au cul salvateur au groupe. Seul point noir, la difficulté de la maison de disque à sortir correctement l’album un peu partout… Parlons maintenant de l’album, il commence très fort dès le premier titre « On Your Feet Or On Your Knees » , pied au plancher, la paire de guitaristes Würzel/Campbell dresse un mur de métal, 

et déverse un Rock’n’Roll endiablé, sur des riffs incendiaires. Pas de chorus, pas d’envolée solitaire, tout au service du morceau, de sa puissance diabolique. « Burner » poursuit la route tracée, en plus rapide, les chevaux sauvages sont lancés au grand galop sur la plaine,

sur un rythme proche d’« Overkill », mais où des cassures viennent briser la linéarité, et introduire de courts chorus, créant une ambiance nuancée et originale. « Death Or Glory » est de la même veine, Motörhead ne renie rien de ses origines et de son passé. Les guitares se font plus lyriques tout en gardant la puissance du Rock’n’Roll.

Vers le milieu du morceau, tout se calme, et sur un tempo bien binaire qui enflammera les foules en concert, le groupe s’offre une respiration qu’un break de batterie renvoie par delà les étoiles. L’apport de Mickey Dee, de sa parfaite technique, est évident sur ce morceau, et balaie toutes les réserves passées. « I Am The Sword » est imparable, le groupe se fait plus rocailleux, plus heavy et ça lui va très bien.

Le titre résonne comme un hymne, et nul doute qu’en concert il en devienne un moment très fort.

Les guitares sont puissantes, tranchantes, incisives, léthales. Pas de chorus, mais un feu d’artifices éblouissant. « Born To Raise Hell ». Attention pierre précieuse. C’est du lourd, même du très lourd. Un tempo médium assumé, deux guitares aux harmonies parfaites, assurément un classique instantané.

Chorus courts, groovys et incendiaires, que demander de plus. ‘Le’ morceau de l’album assurément. Pas facile pour le titre qui lui succède, heureusement, Lemmy fait jouer la diversité, « Don’t Let Daddy Kiss Me » et son thème si particulier, la voix de Lemmy a cappella, suivi d’une guitare acoustique, et oui, acoustique chez Motörhead, vous avez bien lu. Et c’est bluffant, la claque n’en est que plus forte.

L’émotion est réelle et vraie. Même quand le groupe électrifie la chanson, et lâche un splendide chorus, court et sensible. Surprenant pour du Motörhead, mais d’autant plus frappant pour un thème hélas toujours d’actualité. « Bad Woman » est du grand, du très grand Motörhead, avec du piano s’il vous plait. Encore un pur et vrai Rock’n’Roll qui déboule à deux cent à l’heure, une bombe qui nous éclate à la gueule,

comme le chorus de guitare quelle contient, subtil et énergique. Motörhead n’est pas mort après deux albums loin d’être au top, il se réveille de sa fausse léthargie et nous assène une pêche fulgurante et diabolique. Le Roi n’est pas mort, vive le Roi. « Liar » tempo médium, lourd, puissant, étouffant, comme un soleil de plomb pendant une traversée du désert sans réserve d’eau.

Magnifique travail des guitaristes, très sobres mais ô combien présents. « Lost In The Ozone » seconde perle du disque, de nouveau un tempo médium, qui ne rechine pas à accélérer son propos quand le besoin s’en fait sentir. À la fois harmonieux par instants, très énervé à d’autres,

ce titre est vraiment intéressant et prouve une fois de plus l’étendue de la gamme des climats que le groupe possède.

« I’m Your Man » tempo médium, comme sur la quasi totalité des morceaux de la seconde partie de l’album, la deuxième face pour parler comme un ancêtre.

Superbe courte partie de guitare, et belle ambiance, qui n’est pas s’en rappeler l’excellent « Just ‘Cos You Got The Power ». « We Bring The Shake » aurait pu être signé Thin Lizzy, le morceau est lyrique, efficace, original, tout comme cette guitare qui s’envole vers les cieux pour taquiner les étoiles.

Rien à redire, c’est parfait. Et l’on arrive déjà au dernier morceau de l’album, « Devils » troisième perle du disque, nous offre une espèce de conte de fées, lourd et puissant, d’une durée assez rare pour le groupe, six minutes, qui lui permettent d’explorer toutes les facettes du titre, et d’en développer toutes les possibilités.

Indéniablement, cet album nous permet d’entendre la paire de guitaristes Würzel/Campbell comme jamais, leur entente est à un sommet. Pour Lemmy comme pour Campbell, « Bastards » est l’un des meilleurs albums et des plus aboutis du groupe, et à son écoute, on ne peut qu’être d’accord.

Il faut noter la qualité de la production, qui couvre de belle manière tout le spectre sonore du groupe de l’aiguë le plus fin au grave le plus bas. Motörhead nous offre un album à deux faces bien différentes, à la manière d’un docteur Jekyll, et de son mister Hyde, Lemmy a donné deux visages à son disque, l’un violent, rapide, nerveux, déboulant à deux cent à l’heure, piétinant tout sur son passage, l’autre plus subtil, plus doux, plus réfléchi tout en gardant une vraie puissance, mais en optant pour une approche différente. Et c’est précisément ce qui fait tout le charme de « Bastards », cette ambivalence, cette dualité, si bien mise en musique par un groupe soudé, qui signe là une de ses meilleures galettes, et ce, pour notre plus grand plaisir. Pourtant après l’album suivant « Sacrifice » qui sort en 1995, Würzel quitte le groupe qui se retrouve une fois de plus en trio. Mais ça c’est déjà une autre histoire, que je vous raconterais peut être une autre fois….

 

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